Ce fut quelque part, non loin du Gerbier qu’on la vit, là où la Loire en bas âge babille dans son berceau de laves grises.
C’était hier ou avant-hier, on ne sait plus ; d’ailleurs, dévoiler le lieu précis appellerait la délation…
On peut dire simplement que l’endroit est sauvage, tourbeux, inondé de solitude et brossé d’un vent frisquet d’altitude.
Là-haut, maintes fois, le pas frôle la grassette gloutonne, la blanche linaigrette et la sphaigne spongieuse.
Un patchwork de miroirs limpides y pétille au soleil de midi. Le gerris et l’agrion s’y amusent, l’espace d’un frisson flûté.
Elle est bien là, trace ostensible imprimée dans l’humus tiède, témoin tangible à l’orée d’un herbier luisant, ignorée cependant du randonneur pressé, futile impatient d’horizons chimériques.
Arrêt sur le coussinet, modelé griffu au bord de la flaque, l’oeil scrute et s’interroge. On subodore le passager furtif et silencieux de la nuit.
Selon les philosophes antiques, doctes baroudeurs d’agoras, la seule vue de l’animal fantôme ôtait la voix au chemineau sidéré, tandis qu’Hadès l’invisible endossait sa fourrure…
En toute autre époque et contrée, on l’appelait Tenggri, l’ascendant élu de Gengis Khan, chevaucheur d’empires.
Oubliés les récits d’antan ? Mythes surannés ? Rien n’est moins sûr.
Le peuple des livres cartonnés de rouge, saupoudrés de gris séculaire, s’agite au fond des combles obscurs.
Les vieilles légendes enfouies dans les peurs d’autrefois frissonnent aux hurlements de l’ombre.
Car voici : la meute aux yeux couleur amande, migrante d’outre-sylve s’en revient, à la queue leu leu, humer nos croissants de lune…
Haro sur Ysengrin, la « beste grise » actionnaire qu’on dit assidue à la bourse des agnelages…
Du côté du Gerbier, entre chien et loup, la bise fraîchit. Ce soir, aucune chevillette ne sera tirée, aucune bobinette ne cherra. Tous les petits chaperons couleur cerise sont sagement restés à l’oustal, appliqués à leurs devoirs auprès de l’âtre.
La veille, la maîtresse leur a demandé de réfléchir à ces mots de Georges Courteline : « Dans leur rivalité, qui de l’homme ou du loup l’emporte en cruauté ? ».
Daniel Loubersac. Recueil « Illusoires courtes d’Ardèches et d’Ailleurs » Ed La Calade
Notre animal totem à nous deux !