Un système politique à bout de souffle ?

Entretien avec le politologue Frédéric Sawicki (1). Propos recueillis par Cyprien Caddeo. Source


  • Que pensez-vous de la « crise des institutions »

Après lui, le déluge. Tel semble être désormais le cap d’Emmanuel Macron, un an après avoir été reconduit par les Français à la tête de l’État. Abîmé par une réforme des retraites qu’il a fini par promulguer envers et contre tout le monde, le président a encore quatre années de gouvernance devant lui, alors qu’il atteint son niveau record d’impopularité, voire de détestation.

On a oublié un peu vite le premier quinquennat, la crise majeure des gilets jaunes et le premier mouvement social contre la réforme des retraites, à l’hiver 2019-2020. Le Covid est venu en quelque sorte clore cette phase, parce que la pandémie s’est traduite par une politique très volontariste du gouvernement.

On ne fait que redécouvrir aujourd’hui ce qu’a toujours été Emmanuel Macron, son absence de considération pour la démocratie sociale.

Ce qui a changé, c’est qu’il n’a plus la même large majorité qu’avant à l’Assemblée. La majorité relative et son incapacité à construire des majorités de circonstance ont aggravé ce sentiment qu’il refuse tout compromis.

  • Y a-t-il une dérive autoritaire du pouvoir ?

Lorsqu’on utilise le terme d’ « autoritarisme » en science politique, on se réfère de façon privilégiée à des régimes où les libertés publiques sont gravement altérées ou suspendues. On pense davantage à la Hongrie ou à la Pologne qu’à la France.

Emmanuel Macron s’appuie à la fois sur la brutalité physique, celle de la police, et sur la brutalité légale, en usant de manière cumulative d’instruments législatifs (49.3, 47.1…) qui ne sont d’habitude utilisés que séparément.

Néanmoins, si on utilise le terme « autoritaire » pour désigner un chef d’État qui s’enferme dans sa politique, passe en force en utilisant tous les moyens légaux à sa disposition, quitte à mécontenter l’extrême majorité de la population, et s’appuie sur la police et la gendarmerie pour se faire obéir, alors, oui, il y a une manière autoritaire de gouverner.

Notre État est brutal. Emmanuel Macron s’appuie à la fois sur la brutalité physique, celle de la police, et sur la brutalité légale, en usant de manière cumulative d’instruments législatifs (49.3, 47.1…) qui ne sont d’habitude utilisés que séparément.

  • Quand l’historien Pierre Rosanvallon, pourtant social­-démocrate modéré, a parlé lui aussi de dérive autoritaire, Emmanuel Macron l’a qualifié d’« intellectuel militant »…

Il a effectivement utilisé le terme de « militant » comme si c’était une étiquette péjorative. Il oublie surtout qu’on vit dans un pays où les intellectuels et les universitaires sont toujours intervenus dans l’espace public, et tant mieux. Ce capital collectif de savoirs fait partie de la richesse de la France.

Pierre Rosanvallon est un spécialiste de la démocratie, quand il prend la parole, ce n’est pas dans le vide, c’est à partir de ses travaux et de l’étude argumentée des faits. Comme toujours, au lieu d’écouter ce qui est une critique saine et étayée de son pouvoir, Emmanuel Macron a préféré lui opposer condescendance et mépris.

  • Pourquoi n’y a-t-il pas encore eu de frondeurs au sein de la majorité relative, alors même qu’il suffirait qu’une dizaine de députés jouent le rapport de force en interne pour faire la pluie et le beau temps ?

Effectivement, on aurait pu s’attendre à un renforcement du pouvoir du Parlement après les législatives, des groupes d’opposition comme du rôle de la majorité dans l’architecture macroniste. Toutefois, on touche là à un problème majeur du macronisme : ces députés ont été désignés et élus par la grâce du président, ils n’ont commencé à se structurer et apprendre à se connaître que durant le premier quinquennat, où ils n’avaient aucune autonomie ou presque.

Ils n’ont pas de culture parlementaire, restent inexpérimentés et sont reliés par l’attachement au chef de l’État. Ils semblent tétanisés, incapables de faire contrepoids à l’Élysée. Notons cependant que le recours au 49.3 pour la réforme des retraites s’explique aussi par une volonté de l’exécutif de discipliner la majorité relative, quelques députés comme Barbara Pompili ayant déclaré qu’ils ne la voteraient pas.

À l’approche de la prochaine échéance présidentielle, la majorité va voir se multiplier les tensions, sur fond de guerre de succession, puisque Emmanuel Macron ne peut pas se représenter.

  • Comment va se dérouler la guerre de succession, selon vous, avec un parti, Renaissance, qui reste une coquille vide et un espace centriste peu organisé ?

Emmanuel Macron n’a pas préparé sa succession et on voit mal comment l’appareil partisan macroniste peut régler la question. On connaît ses héritiers potentiels, à date : Édouard Philippe, François Bayrou, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire.

Est-ce que « l’aile gauche » macroniste va accepter une candidature clairement venue de la droite ? Ou va-t-elle essayer de proposer une offre entre l’aile droite macroniste et la Nupes ? Ce pourrait bien signer la fin du « et de gauche et de droite », donc du macronisme lui-même.

  • La promesse du « en même temps » ne peut donc plus convaincre ?

La réforme des retraites ou la mobilisation autour des mégabassines à Sainte-Soline ont bien montré qu’il y a, dans notre société, des clivages forts et difficilement dépassables. Il devient très compliqué de prétendre qu’on va préserver la croissance économique à tout-va et « en même temps » lutter contre les effets du réchauffement climatique ou la disparition de la biodiversité

Le « en même temps », qui, de toute façon, a été infirmé par le macronisme lui-même (une politique centriste finit toujours par retomber à droite), a vécu. Malgré tout, il faut garder en tête que son socle électoral existe toujours, un électorat composite d’anciens électeurs socialistes et d’électeurs de centre droit. C’est un électorat âgé et plutôt aisé qui rêve toujours de compromis et de dépassement des clivages. Ils sont certes minoritaires, mais il y a suffisamment de gens aisés et craintifs vis-à-vis des oppositions pour que cela tienne encore quelque temps.

  • La Macronie a aussi cherché à s’arroger le monopole du « progrès »…

Quel progrès ? Cela aussi n’est plus crédible.

Le gouvernement a cherché à privilégier à tout prix notre mode de production économique, en prônant le travail et la productivité au-dessus de toute valeur collective, de la solidarité, de la culture ou de l’éducation.

Les Français voient bien que les sacrifices qu’on leur demande profitent essentiellement aux plus riches.

  • Lors de son discours de réélection, Emmanuel Macron s’était adressé aux électeurs de gauche qui avaient voté pour lui pour faire barrage à l’extrême droite avec cette promesse : « Ce vote m’oblige. » Désormais, il explique que si on ne voulait pas de la réforme des retraites, il ne fallait pas voter pour lui…

C’est une hypocrisie fondamentale qui démontre qu’il n’a plus grand-chose pour légitimer son action, si ce n’est en effet l’élection présidentielle, puisqu’il ne peut même pas s’appuyer sur le résultat des législatives (outre l’absence de majorité absolue, l’abstention lors de ce scrutin était très élevée, ce qui pose d’autres questions en termes de légitimité).

C’est sa seule planche de salut et cela le met en profonde contradiction avec ce discours du 24 avril. Pour se mettre en conformité avec cette déclaration, il aurait fallu bâtir un vrai gouvernement de coalition, allant des « Républicains » à la gauche socialiste, ce qui est désormais impossible.

Ce serait, pour ces deux forces, prendre le risque de faire monter le RN et de se faire balayer dans le cadre de la présidentielle et du scrutin uninominal à deux tours. Nous sommes dans une situation de blocage politique qui montre aussi un archaïsme de nos institutions, qui poussent à ce qu’une majorité se dégage et écrase le paysage politique, alors qu’il n’y a plus de bloc majoritaire à l’heure actuelle.


  1. Frédéric Sawicki est professeur de science politique à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Ses recherches portent sur les partis politiques, en particulier le PS et sa droitisation. Il a notamment publié, en 2020, « la Fin des partis ? », aux Presses universitaires de France.

Une réflexion sur “Un système politique à bout de souffle ?

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