Celui qui a muselé un des états le plus peuplé au monde… ne vient pas parler démocratie avec Macrounet !
Avait-il imaginé qu’il paierait si cher son audace ?
Ce jour de 2019, en plein meeting, le fringant Rahul Gandhi, héritier de la dynastie Nehru-Gandhi, fils de l’ancien Premier ministre Rajiv Gandhi, se lâche devant un public surchauffé : « Mais comment se fait-il que tous les voleurs aient Modi comme nom de famille ? » La foule se marre.
Allusion fort claire à un homme d’affaires en fuite, un diamantaire aux prises avec la justice et… l’actuel Premier ministre indien, Narendra Modi. Quatre ans plus tard, le jeune Gandhi est condamné à deux ans de prison, six ans d’inéligibilité et perd dans la foulée son mandat de parlementaire. Voilà Modi débarrassé de son principal (et très tenace) opposant.
Pas compliqué : il suffit d’une justice aux ordres (le magistrat qui a prononcé la condamnation est l’ancien avocat du ministre de l’Intérieur), d’une presse bâillonnée, de milieux d’affaires à la solde du régime, et on finit par avoir la paix, c’est bête comme chou.
Toutes ces billevesées, qui relèvent, comme il se doit, des affaires intérieures indiennes, ne vont tout de même pas empêcher la France de faire de Modi son invité d’honneur lors du défilé militaire du 14-Juillet. Pour annoncer ce grand moment, les deux parties se sont fendues d’un communiqué commun du genre pompeux, saluant l’« occasion d’engager une nouvelle phase du partenariat stratégique » qui les lie. En fait de « partenariat stratégique », c’est d’abord une histoire de (très) gros sous.
Pluie de Rafale
« La diplomatie française, qui manque terriblement d’inspiration, pour ne pas dire qu’elle est en panne, se réduit aux seules signatures de contrats d’armements depuis une dizaine d’années. Il faut reconnaître que l’Inde représente un marché colossal », s’amuse un ponte du Quai d’Orsay.
Dopées par les tensions historiques avec le Pakistan et celles avec la Chine en Indo-Pacifique, les dépenses d’armements de l’Inde ont presque doublé en dix ans, pour dépasser 80 milliards de dollars par an. Joli gâteau dont on se contenterait de quelques miettes.
« On a une carte à jouer, car l’Inde, qui dépend beaucoup de la Russie pour ses armes, vit très mal le rapprochement de Moscou et Pékin, et cherche à diversifier ses approvisionnements », assure un industriel de l’armement. D’où le « partenariat stratégique »
On en oublierait presque, avec tous ces Rafale, ces sous-marins Scorpène, ces beaux et fiers canons pointés vers le ciel, la dérive autoritaire du régime, très nette désormais. « On peut parler en Inde d’un scénario proche de celui observé en Turquie : un populiste qui devient autoritaire tout en continuant d’ organiser des élections, mais ces élections sont chaque fois plus difficiles à gagner pour l’opposition, avec un pouvoir qui dicte sa loi à la commission électorale. Malgré cela, Modi a un socle électoral qui n’a jamais dépassé 37 % », rappelle Christophe Jaffrelot, chercheur au Ceri Sciences-Po-CNRS et auteur de « L’Inde de Modi » (Fayard).
D’où cette tendance à mettre tout le monde au pas, et surtout les musulmans, dont l’apport à l’histoire de l’Inde est sérieusement récrit ces temps-ci. Ce sont des chapitres entiers que l’on gomme des programmes scolaires. Les empereurs moghols, deux siècles d’histoire du sous-continent ? Connais pas, c’est vieux tout ça.
Les musulmans, Modi, ne les gomme pas seulement des manuels. En 2002, il a soufflé sur les braises d’un affrontement commu nautaire qui a fait près de 2 000 morts, sans compter le viol généralisé des femmes musulmanes. Un pogrom géant dont il ne s’est jamais expliqué. Pas grave, la justice l’a blanchi, dix ans plus tard. Un documentaire de la BBC l’accusant d’être « directement responsable » de l’affaire a été interdit de diffusion.
Pogrom géant
Les chrétiens ? Prière de marcher les yeux baissés. Des lois anticonversion, votées dans 11 Etats sur 29, punissent de la prison à vie ceux qui abandonnent l’hindouisme sans l’accord du préfet, qui refuse systématiquement. Apostats, pas chez moi. Même le cinéma est prié de se mettre aux longs-métrages « patriotiques ». Bollywood résiste encore, mais pour combien de temps ?
On ne va sans doute pas trop parler droits de l’homme en juillet, pas plus que lors de la dernière visite de Modi à Paris, où un Emmanuel Macron plus onctueux et tactile que jamais avait offert à son hôte une visite guidée du château de Versailles.
Modi s’était montré ravi de tant de délicatesse. Il faut dire que l’Elysée avait pudiquement détourné les yeux des liens l’unissant à un sulfureux homme d’affaires du nom de Gautam Adani, devenu la première fortune d’Asie en très peu de temps.
« Quand l’Etat indien vend ses bijoux de famille, il les vend à un seul homme, l’oligarque en chef du régime, Adani, soutien de Modi depuis toujours. Total, qui a vite compris qu’Adani était incontournable, a pris le risque de créer plusieurs joint-ventures avec lui », assène Jaffrelot. Rahul Gandhi connaissait bien ce dossier, qu’il instruisait avec ardeur, mais, pas de chance, voilà qu’on va lui passer les bracelets.
Anne-Sophie Mercier. Dessin de Kiro – Le Canard Enchainé. 10/05/2023

Narendra Modi vu par Kiro
Quoi qu’on pense de Modi, contrairement à Xi, il a été élu. Le rôle de Macron n’est pas de faire de la morale, les relations entre état ce sont des intérêts, pas de la morale. Pour ses armes, Modi a choisi le fournisseur qui n’a pas les moyens de faire un embargo, donc un fournisseur fiable. Et lui qui a un ennemi: la Chine, ne peut compter sur Poutine, grand ami de Xi, ni sur les Américains qui soutiennent le Pakistan, ni UK ancien colonisateur. De plus, la France défend le statu quo dans l’océan Indien, ce qui lui convient. Les armes font vivre 200 000 familles en France…