L’eau si rare !

Oui, mais pourquoi ?

Les sécheresses des étés 2022-2023, comme l’annonce par le président de la République, le 30 mars au barrage de Serre Ponçon, de l’élaboration d’un Plan Eau, signent l’irruption brutale d’une crise systémique du modèle de gestion de l’eau que la France a inventé à l’orée des années 1960.

Cette crise appelle une refonte radicale de ce modèle : il a échoué à atteindre ses objectifs et menace l’équilibre ainsi que la pérennité d’écosystèmes durablement fragilisés par l’impéritie des instances dirigeantes.

La création des agences de l’eau et des comités de bassin, puis l’adoption de trois lois-cadre en 1964, 1992 et 2006, ont posé les fondations d’un dispositif institutionnel qu’est venue compléter la transcription en droit français à dater des années 2000 de très nombreux règlements et directives d’origine communautaire européenne.

Ils ont fait passer le pays d’une logique de moyens à une obligation de résultats, avec sanctions financières à l’appui si ces résultats ne sont pas atteints, comme l’illustre notamment la directive-cadre européenne sur l’eau d’octobre 2000, traduite en droit français en 2004, qui enjoignait à la France de rétablir un « bon état écologique et chimique » de toutes les masses d’eau à trois dates butoir successives, 2015, 2021 puis 2027.

Ces objectifs ne seront pas atteints car ils sont en contradiction totale avec nos modèles économiques et le dogme d’une croissance infinie, génératrice d’externalités négatives dont on redécouvre en ce printemps la nocivité pour la santé humaine et l’environnement, tant abondent des pollutions multiples d’origine agricole et industrielle.

C’est ainsi qu’en l’espace de quelques mois viennent d’être révélées en rafales la présence dans les eaux, y compris celles réputées potables, de métabolites de pesticides, qui contamineraient jusqu’à 30 % de l’eau potable en France, de polluants dits « éternels », des PFAS (substances poly ou perfluoroalkylées), etc.

Début avril 2023, un rapport interministériel accablant vient aussi de révéler les carences abyssales des dispositifs officiels de prévention de la sécheresse, englués dans des querelles institutionnelles mortifères et une criante absence de moyens dédiés.

Ces révélations font voler en éclats les déclarations lénifiantes qui nous assurent depuis des décennies que tout est sous contrôle et que nous avançons à grands pas vers un avenir radieux symbolisé par les avancées constantes de la science et de l’innovation technologique (biotechs, agriculture 2.0, numérique, intelligence artificielle…).

En réalité, en dépit d’un greenwashing permanent, tout part à vau-l’eau, les intérêts économiques catégoriels l’emportent toujours haut la main, à l’heure des arbitrages politiques, sur les objectifs affichés d’une gestion soutenable et équitable de la ressource hydrique.

Depuis une quinzaine d’années, tous les organismes de recherche impliqués dans la question de l’eau, comme les inspections des administrations centrales, ont pourtant publié des centaines de rapports parfaitement informés, où ils détaillent par le menu la montée des périls comme les mesures qui devraient être prises pour y faire face.

En pure perte. Rien ne change, business as usual.

Le péché originel du financement

Au tout début des années 1960, en pleines « trente glorieuses », un petit groupe d’ingénieurs crée ce que l’on appellera plus tard l’École française de l’eau, un modèle de gestion de l’eau décentralisé qui s’articule autour d’établissements ad hoc, les Agences de l’eau, bras armé déconcentré de l’État sous la double tutelle de Bercy et du ministère de l’Environnement. Celles-ci mettent en œuvre des plans quinquennaux d’intervention et financent les opérations d’aménagement conduites par les collectivités locales et les acteurs économiques concernés, essentiellement les industriels et les agriculteurs.

Ce modèle, localisé sur l’aire géographique d’un bassin versant, soit la zone baignée par un fleuve de sa source à l’embouchure, revendique aussi son caractère démocratique, incarné par la création auprès de chacune des six agences de l’eau françaises (une par grand fleuve) d’un comité de bassin, organe de délibération au sein duquel siègent des représentants de l’état, des collectivités locales, et de diverses parties prenantes, au premier rang desquelles les représentants des acteurs industriels et de la profession agricole. La société civile n’y est représentée que par les maigres troupes constituées par des délégués d’associations de consommateurs, de pêcheurs et de défenseurs de l’environnement.

À l’origine, quand était débattue la grande loi fondatrice de 1964, le système aurait dû être financé par une taxation perçue auprès des collectivités locales qui gèrent le petit cycle hydrique (eau potable et assainissement des eaux usées).

Bronca des élus, conduits par Alain Poher, alors président de la puissante Association des maires de France (AMF). Le financement du système reposera dès lors, à hauteur de 85%, sur l’usager domestique du service public de l’eau, via la perception de redevances (prélèvement et pollution) par l’intermédiaire de sa facture d’eau.

Un système inique, dénoncé depuis des décennies par les associations d’usagers, qui financent le système, mais ne siègent qu’à la portion congrue dans les instances qui décident de l’utilisation de cette manne financière, qui représente aujourd’hui un peu plus de 2,2 milliards d’euros chaque année.

Aussi longtemps que ce système semblait fonctionner, au bénéfice des collectivités locales et des acteurs économiques (industriels et agriculteurs qui en ont apprivoisé les subtilités à leur profit) ces critiques étaient inaudibles.

Le bilan en est aujourd’hui de plus en plus sévèrement critiqué par une myriade d’acteurs.

À juste titre. La lutte contre les pollutions multiformes de l’eau révèle que les externalités négatives d’un modèle de développement productiviste ont provoqué une contamination généralisée des ressources en eau qui gagne sans cesse en intensité.

Les innombrables plans de restauration de la qualité des milieux, financés à grands frais sur fonds publics depuis des décennies, achoppent sur des pratiques agricoles et industrielles, à l’origine de ces pollutions, qui perdurent en dépit des « bonnes intentions » affichées… […]

Pollutions innombrables, pesticides, irrigation à outrance, imperméabilisation des sols, inondations, sécheresses, recul du trait de côte, chute dramatique de la biodiversité… La réalité est cauchemardesque.

[…] l’édifice institutionnel de la gestion de l’eau à la française, qui a vu le jour à l’orée des années 1960, craque de toutes parts. Pourtant, personne ne veut ouvrir la boîte de Pandore que représenterait l’élaboration d’une nouvelle loi. Celle-ci imposerait, en effet, de mettre au premier rang des préoccupations la question explosive de l’évolution du modèle agricole productiviste. Un casus belli pour la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), très en cour à l’Élysée.

[…]

Ce sont, en effet, une multitude de décisions arrêtées depuis dix ans sous les présidences Hollande puis Macron, dans l’indifférence générale, qui sont en passe, grâce à leurs effets cumulés, de mettre à bas les politiques publiques de l’eau mises en œuvre en France depuis un demi-siècle. Avec conséquences une augmentation exponentielle de la facture d’eau de l’usager et des désastres environnementaux en cascade.


Marc Laimé. Le blog du monde diplomatique. Source (extraits -apparemment lecture libre)


2 réflexions sur “L’eau si rare !

  1. bernarddominik 10/05/2023 / 08:06

    En 1960 à Toulon, l’été nous n’avions l’eau que 2 heures par jour, de Gaulle à tapé du poing sur la table et en moins de 6 mois l’eau à été emmenée de Quinson (sur le Verdon) à Toulon (120 kms). Aujourd’hui l’est des BdR et une partie du Var manquent d’eau, la sécheresse n’est pas seule en cause, la population du secteur a triplé en 40 ans, mais gouvernés par un système de mille feuille où chacun se renvoie la balle rien n’est fait. Pourtant le Rhône a son débit maximum en plein été grâce au temps que met l’eau pour arriver au sud. Les experts du canal de Provence sont prêt à faire le nécessaire, mais chez nous on trouve plus urgente la question du drapeau en mairie que celle de l’eau.

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