En attendant le bain de sang

La question a été posée sur tous les plateaux de télévision après les incidents graves qui ont émaillé la manifestation du ler mai : un palier de violence a-t-il été franchi ?

Observateur régulier et de longue date des cortèges revendicatifs, je réponds par la négative, certaines manifestations des « gilets jaunes » ayant bien davantage dégénéré, précisément parce qu’ils n’étaient pas encadrés par les syndicats.

Par contre, deux faits m’ont semblé marquants. Le premier est la taille de l’avant-cortège, dans lequel évoluent les éléments radicaux : environ 2 000 personnes, dont une bonne partie d’autonomes agissant sous la forme du black bloc.

Même en considérant la présence, pour grossir ses rangs, de militants venus de l’étranger, ce bloc radical se renforce, dans une opposition aux forces de l’ordre mais aussi, de manière de plus en plus claire, aux services d’ordre syndicaux et partisans.

Un point d’incandescence inédit de la détestation

Seconde constatation : nous sommes arrivés à un point d’incandescence inédit de la détestation, souvent de la haine, que les manifestants les plus radicaux expriment vis-à-vis de la police et de la gendarmerie ainsi que de Macron et de certains ministres.

Comment va-t-on expliquer aux deux femmes que j’ai vues brandir, le plus calmement du monde, une pancarte appelant à « Brûler Darmanin » que leur slogan est inadmissible, qu’il doit l’être pour le plus acharné des opposants à la réforme des retraites ?

Il faut détruire ici un mythe : la violence, le caractère sommairement anticapitaliste et antiétatique des slogans graffés sur les murs n’empêchent pas une partie de l’autonomie et des anarcho-libertaires de produire de l’idéologie qu’on a tort de négliger si on veut comprendre l’action de ceux que le terme « casseurs » ne défmit qu’en partie.

Sur des sites comme Paris Luttes Info, sur Contre Attaque (ex-Nantes révoltée) ou ailleurs, des textes théoriques et des réflexions sur le déroulement et la tactique des manifestations sont disponibles. Il faut les lire pour comprendre comment le black bloc va évoluer dans les mobilisations à venir.

À l’observateur de base, toutefois, apparaît évident que les forces de l’ordre sont désormais considérées comme le bras armé et consentant d’un pouvoir jugé illégitime. La police est désignée comme tueuse, et prise pour cible avec des moyens (un cocktail Molotov jeté sur un gendarme) qui sont potentiellement homicides.

Mais en face ? Après les violences dont ont été victimes nos confrères Rémy Buisine et Clément Lanot notamment, une chaîne aussi peu suspecte de gauchisme que BFMTV a insisté, à juste titre, sur la méconnaissance que certains chargés du maintien de l’ordre ont des règles basiques de celui-ci.

Déficience de la formation initiale, panique face au niveau de violence des cortèges, volonté délibérée d’utiliser des méthodes (casse de matériel journalistique, coups de pied à des gens au sol) qui ne sont même pas utiles à la maîtrise de la situation ?

La hiérarchie doit vite faire la lumière sur ces comportements pour éviter que le fossé ne se creuse jusqu’à l’irréparable entre manifestants et forces de l’ordre. Car à n’en pas douter, le mouvement de contestation va durer, il est déterminé, et la loi immigration prévue à la rentrée lui donnera matière à rebondir.


Jean-Yves Camus. Charlie Hebdo. 10/05/2023


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