« Il y a un flic qui crame ! », s’esclaffe un individu masqué vêtu de noir.
À Paris, le cortège contre la réforme des retraites s’est élancé depuis à peine une demi-heure ce ler mai lorsqu’une boule de feu transforme un policier en torche humaine, après le jet d’un cocktail Molotov. La scène de ce fonctionnaire brûlé au second degré illustre le tournant dans les violences lors des manifestations contre la réforme des retraites.
Devant le cortège syndical officiel s’était constitué un pré-cortège composé de 2 000 individus radicaux venus de toute l’Europe, accompagnés de près de 20 000 personnes manifestant hors cadre syndical – l’illustration du soutien apporté par une partie des manifestants à cette forme plus radicale de mobilisation. Ce pré-cortège constitue ce que l’on appelle un black bloc, une « masse noire camouflée », composée d’hommes et de femmes prêts à en découdre avec les forces de l’ordre.
- Une volonté assumée de « déborder la manifestation »
« L’objectif de cette stratégie est de souligner le rapport de force, de montrer que l’on peut faire reculer la police. Il y a une volonté de ne pas baisser la tête face au pouvoir et de déborder la manifestation », nous explique un militant antifasciste qui préfère rester anonyme.
Si ce mode d’action est attribué à une catégorie de la population principalement issue de l’extrême gauche révolutionnaire, anti capitaliste, des individus lambda, révoltés par la sensation de ne pas être entendus par le gouvernement, ont basculé vers la violence et rejoint le bloc.
Les syndicats avaient prévenu l’exécutif avant le déclenchement de l’article 49.3 à l’Assemblée national pour faire adopter la loi sans vote : à partir d’un certain point, ils ne parviendront plus à contenir la colère. Les policiers parlent désormais de situation apocalyptique. « C’est une violence inouïe », explique Éric Henry, CRS et porte-parole du syndicat Alliance. Il évoque des « bombes artisanales, des boules de pétanque » ou des « vis coulées dans du béton » comme armes utilisées contre eux : « Certains viennent pour tuer des forces de l’ordre qui représentent l’État ».
- 406 policiers et gendarmes blessés le 1ᵉʳ mai
Au total, 406 policiers et gendarmes ont été blessés sur l’ensemble du territoire le jour de la fête du Travail, selon le ministère de l’Intérieur. « La manifestation du ler mai a été la plus violente depuis le début du mouvement », confirme Vincent Victor, responsable de l’Observatoire des Street médics : « Selon nos estimations, 590 manifestants ont été blessés. La grande majorité des blessés le sont du fait des armes policières ».
Pour le service d’ordre des syndicats, il est de plus en plus difficile d’assurer la sécurité des manifestants. « Le cortège syndical est désormais susceptible d’être attaqué par les forces de l’ordre. Quand on me demande, je déconseille aux familles de venir avec des enfants en manifestations [à Paris, ndlr] », abonde Frédéric Bodin, membre de la coordination du service d’ordre du syndicat Solidaires Île-de-France. II précise que le service d’ordre syndical était composé le ler mai à Paris « de près de 250 personnes au niveau du carré de tête et de 70 personnes pour Solidaires ».
Pour le chercheur en sécurité intérieure Mathieu Zagrodski, « la police a tendance à intervenir de manière indiscriminée. Vous avez des coups, de matraques ou des méthodes de dispersion ou de nassage qui incitent des gens pacifiques à la base à rallier plus radicaux ».
Selon ce spécialiste, « il y a des améliorations à mener dans les techniques de maintien de l’ordre, sur la capacité de dialoguer avec les manifestants non violents et de faire en sorte de cibler les casseurs tout en préservant les gens qui manifestent de manière pacifique, comme cela se fait depuis des années en Angleterre et en Allemagne ».
- « Des assassins potentiels »
Face à la montée des tensions, le gouvernement prépare la riposte et réfléchit à une loi anticasseurs. « Ces gens veulent non seulement casser du flic, et s’ils pouvaient en tuer un, ils s’en réjouiraient », assène Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur.
De leur côté, les députés doivent approuver ce mercredi le lancement d’une commission d’enquête sur la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes entre le 16 mars et le 3 mai 2023.
Alexandra Simard et Aurélien Poivret. Le Dauphiné Libéré. 09/05/2023
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