Au seuil

Lithiques pénates

On tourne la clé dans la serrure, la porte s’ouvre. Une vague odeur de cendres et de salpêtre mêlés s’exhale de la pénombre.

Des chuchotements ténus, inaudibles, ponctués de rires aigus et brefs, s’échappent, furtifs.

Le bonheur est peut-être là, en embuscade.

Bien ancrée sur son roc plutonien, la rude et séculaire bâtisse caméléonne en ce lieu tapissé de vieux verts et d’accents mordorés.

L’huis, coiffé de son linteau gravé de belle mémoire, couve du regard la vallée embrumée.

Pierres de seuil, chaînages, murs altiers… jusqu’aux boutisses, l’ancêtre compagnon du moellon et de la chaux n’avait pas les mains dans les poches.

Au faîtage, les tuiles emplumées de joubarbes entretiennent le souvenir enjoué, des cuisses qui les ont arrondies au plus fort des canicules…

Et la souche de cheminée, jadis raide comme un garde suisse, se trouve désormais bien lasse d’avoir caché tant de lunes…

En bas, au droit d’une mauvaise ouverture voilée de soies grises, une pierre griffée de signes abscons…
S’agit-il de ce chemineau qui, dans les temps oubliés, s’enticha de la gironde hôtesse ? Les commérages n’ont pas d’âge.

Ce soir, la vieille demeure nous ouvre son âme et l’antique armoire en noyer, façonnée par le Papet, lorsque les sabots sonores tourmentaient le silence.

Les draps de lin sont toujours là, bien serrés dans leur rugueuse fratrie, à quelques mouvements de hanches du lit clos.

Le plafond à la française, ostensible fierté du bercail, aligne ses solives de noir vêtues. Une danse du feu anime le cantou et ressuscite, au son du vielleux trépidant, les festins des reboutes enfuies…

Réveillons-nous ; c’est bien aujourd’hui !
Ce passé, quoiqu’idéalisé, a valeur d’intime patrimoine… Franchissons le pas de notre porte en songeant à l’incisif Paul Morand : « On ne saurait aller chercher très loin le plaisir de rentrer chez soi ».


Daniel Loubersac. Recueil « Illusoires courtes d’Ardèche et d’ailleurs ». Ed. La Calade


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