Nuages

La pluie, la nuit. Une cohorte grise chevauche par monts et par vaux. Depuis l’aube des temps, les nuées sont les oreillers du ciel. Dormez, bonnes gens ! Que la fée aux doigts de coton berce votre sommeil ouaté. Demain, coulera comme une pluie d’or fin. 

Réveil radieux. 

Tel un cirrus éthéré, vous lévitez sur fond de cyan. Dans votre café matutinal, si bon vous semble, vous vous versez un nuage de lait… Êtes-vous ce nuage qui caressait naguère les cordes de Django ? Ou celui qui, jadis, voilait le front de Lamartine ?

Qu’importe ; intemporel, vous enlacez, amoureux, les hanches de la montagne. Véloce, vous montez à l’assaut des fayards, frôlant au passage bruyères et genêts, pour qu’à la fin, se dérobe au regard le chaos de ce granite arrogant. 

Selon Fénelon, la Vérité perce les nuages… Mystiques vérités, chimères aux confins de l’azur, voyez plutôt approcher, échevelées, en camaïeu de gris, ces nues âgées… L’orage est patient ; il tourne longuement ses dés dans la main avant de les jeter, fulgurants, le tapis vert du grand casino des Hommes. 

« J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages. » Merci, cher Baudelaire… 

Que le poète soit en l’occurrence notre cicérone sur ce chemin rocailleux à l’orée de nulle part. Je parle de l’antique voie de Mézilhac, celle qui se souvient des pataches brinquebalantes, des chemineaux colporteurs, des coubles de muletiers… C’est ici que Nivôse, maintes fois, s’engrosse de burle. 

Là-haut, des pierres du Malpas, l’oeil entend sourdre le chant ténu, hors d’âge, de lointaines moniales. Faisons halte au pied de l’agreste ruine ceinte de brume tiède ; tendons la main et attrapons ce nuage d’encre qui lambine à nos côtés. Gageons qu’à la pointe d’une plume alerte, il sera meilleur épistolier que tous les courriers du monde !  


Daniel Loubersac. Recueil : « Illusoires courtes d’Ardèche et d’ailleurs ». Ed. La Calade

Photo MC. Tous droits réservés.


N'hésitez pas à commenter