Langage des signes et mots

Cécile Alduy, sémiologue et sémioticienne – qui étudie les signes et les paroles dans les systèmes de communication –, observe cette arène politique depuis plusieurs années.

Chercheuse associée au Cevipof (Science po), elle est aussi professeure à l’université de Stanford, en Californie, où elle s’est installée en 2003 à l’issue d’une thèse, faute de poste disponible dans une université française.

Elle y a d’abord enseigné la littérature du XVIᵉ siècle, puis le cinéma français, avant de se pencher sur la vie politique de l’Hexagone.

En analysant quelques faits et discours marquants de ces dernières semaines, elle nous aide à comprendre en quoi ce n’est plus seulement l’avenir des retraites qui se joue sous nos yeux, mais un peu de notre rapport à la démocratie et au vivre-ensemble.

Des cortèges monstres dans toute la France, des forces de l’ordre aux allures de RoboCop, des guillotines en carton, un président qui s’exprime dans Pif Gadget, des pancartes brandies à l’Assemblée nationale comme dans une manifestation, un ministre de l’Intérieur qui met en cause la Ligue des droits de l’homme, son collègue chargé du travail traité d’« assassin », une secrétaire d’État à la Une de Playboy

La séquence politique, sociale et médiatique que nous traversons depuis trois mois, et plus encore depuis que le gouvernement a dégainé le 49.3 pour éviter le vote incertain des députés sur sa réforme des retraites, a pris l’allure d’un étourdissant tourbillon de paroles, de gestes, de symboles, dessinant une période pas toujours facile à comprendre tant ses ressorts s’avèrent multiples.

Le débat politique est-il devenu un gigantesque dialogue de sourds ?

L’exécutif a vidé de son sens le discours politique. Le 5 avril, après avoir reçu les syndicats à Matignon, Élisabeth Borne a déclaré, en s’en félicitant : « J’ai entendu leur désaccord sur le relèvement de l’âge [du départ à la retraite], et j’ai pu leur redire ma conviction et celle de mon gouvernement de la nécessité de cette réforme. » Comment peut-on à la fois affirmer son envie de discuter, et refuser par principe tout retrait de la réforme ? On atteint là un degré suprême d’absence de sens. Comme une machine discursive qui tourne à vide. Une langue morte, dépourvue d’empathie, de sens politique et de sens tout court ; séparée de la réalité sociale, qui n’est plus intégrée ni dans les discours ni dans les gestes des gouvernants. Cette même scénographie s’est retrouvée lors de l’allocution d’Emmanuel Macron le 17 avril : la parole présidentielle, un monologue, devait être reçue telle quelle, par la magie d’un verbe quasi divin censé ouvrir une nouvelle séquence.


Propos recueillis par Valérie Lehoux. Télérama. Source (Très courts extraits)


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