Inégalité devant la biture

Sous l’empire de l’alcool, nous avons tous tendance à perdre plus ou moins la raison.

Mais davantage, les hommes que les femmes, et cela pourrait s’expliquer par une faiblesse biologique.

C’est la conclusion de travaux du Groupe de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances, équipe de l’Inserm dirigée par Mickael Naassila. Les chercheurs ont étudié les effets du binge drinking, consommation d’une grande quantité d’alcool dans un temps limité.

Pour ce faire, ils ont permis à des rats d’accéder à une eau alcoolisée. Durant deux mois, c’était open bar pour les rongeurs, qui ont adoré. Ensuite, changement de régime : la bibine n’était accessible que quinze minutes par jour. « C’est une façon de simuler l’happy hour et d’entraîner une consommation rapide », précise Mickael Naassila. Les rats, tous sexes confondus, ont vite compris, et profité de ce quart d’heure joyeux pour se murger le museau, tels des étudiants fonçant sur les bars un vendredi soir.

En parallèle, les scientifiques ont étudié l’impact de l’alcoolisation sur les prises de décision. Chez les humains, cela se fait avec des jeux de cartes offrant deux possibilités : soit gagner beaucoup d’argent, mais risquer d’en perdre aussi beaucoup ; soit en gagner moins, mais risquer d’en perdre moins. On peut dire que le premier comportement est plus « risqué », et le second, plus « raisonnable ».

Les scientifiques ont appliqué ce protocole aux rats, en remplaçant les gains ou pertes financières par une récompense ou une privation de sucre. L’expérience est menée à jeun et soûl. Il est établi que, même à jeun, les femelles (chez les rats comme chez les humains) ont des comportements moins risqués que les mâles.

Durant deux mois, c’était open bar pour les rongeurs

L’équipe de l’Inserm vient de prouver trois choses. D’abord, que l’alcool augmente encore plus la prise de risque chez les mâles, ce qui n’avait rien d’évident. Ensuite, que l’effet ne se produit pas seulement pendant le binge drinking, mais qu’il perdure plusieurs jours après, même une fois dessoûlé. Enfin, l’existence de ce phénomène chez des rats implique des déterminismes biologiques.

Alors que chez les humains, on pourrait l’imputer à des facteurs culturels qui valoriseraient (bêtement, le plus souvent) la prise de risque chez les mâles (par exemple, danser la lambada sur des corniches, pour frimer devant les filles – comportement qui n’a pas été mis en évidence chez les rats).

S’il est encore tôt pour identifier les facteurs biologiques sous-jacents, on peut tout de même en tirer des conclusions. Pour commencer, il ne faudrait pas se contenter de coller sur les bouteilles des étiquettes alertant sur les risques de l’alcool…, mais préciser qu’ils sont parfois plus importants pour les hommes (ce qui, malheureusement, augmente les dégâts chez les femmes, généralement victimes des comportements absurdes des mecs alcoolisés).

Il ne faudrait cependant pas y chercher une excuse, du genre « c’est pas ma faute si je fais des conneries en étant bourré, je suis un mec ». Au contraire, la connaissance de ces risques devrait permettre de mieux les anticiper. Il est également prouvé qu’une même quantité d’alcool bousille davantage le cerveau si elle est bue rapidement plutôt que lentement. Les tenanciers de bar ont donc leur responsabilité : pour lutter contre l’alcoolisation rapide, ils devraient commencer par… prolonger l’happy hour plus longtemps.


Antonio Fischetti. Charlie hebdo. 19/04/2023


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