Laurent Berger

Quoi de plus que le clientélisme syndical…

Invité samedi dernier dans l’émission « Quelle époque ! », sur France 2, le patron de la CFDT a choisi le mode amusé pour commenter l’antipathie que lui voue Emmanuel Macron.

Il n’a jamais aimé la fascination des commentateurs pour le sujet et leur tendance à personnaliser à outrance chaque mot, chaque inflexion, chaque périphrase. À maintes occasions, il a dénoncé « un face-à-face sans intérêt ».

Dernièrement, il a répondu à un bon pote du syndicat : « Macron et moi, franchement, tu ne crois pas que tout le monde s’en fout ? » À chaud, samedi, il en a dit un peu plus. « Je ne sais pas, moi… Peut-être que dans la cour de récré y avait un Laurent qui lui piquait son pain au chocolat. » Rigolades sur le plateau, le public pouffe. On le savait sérieux et accrocheur, on le découvre drôle. A-t-il un message à faire passer à Edouard Philippe ? « Fais un documentaire sur Macron, ton pote de droite ».

Ça y est, c’est le moment Berger. Et si c’était lui, l’homme de 2027 ? « Cazeneuve est trop en retrait, Mélenchon en pleine descente, Hollande carbonisé, Delga trop frontale, énumère un député socialiste. Reste Berger. » « Une chose est certaine : il y a aujourd’hui un homme et un seul, à gauche, qui peut gagner en 2027, et c’est lui. Personne d’autre ne peut faire sur son nom l’alliance des réformistes et des radicaux, ces deux branches de la gauche qui doivent s’allier pour gagner », renchérit un président de région socialiste.

Il a désormais une forme d’ascendant sur le front syndical, même s’il prend bien garde de ne pas froisser ses partenaires. Il a imposé sa méthode, des journées d’action espacées, alors que la CGT préconisait le blocage du pays.

Trait d’union de la gauche

C’est lui qui a lu, à la Bourse du travail en février, la déclaration commune des syndicats, et c’est encore lui qui s’est levé, la semaine dernière, face à Elisabeth Borne, signifiant ainsi l’arrêt de la discussion et entraînant les autres à sa suite. Il n’en faut pas plus pour que l’Elysée et les proches du Président s’agitent : Berger, avec ses airs d’enfant de choeur, a des visées politiques et une petite idée derrière la tête, qu’on ne nous la fasse pas. « Accuser  Laurent Berger de vouloir « faire de la politique », c’est d’abord et surtout la preuve d’une grande inculture de la part du chef de l’Etat et de son entourage. De la politique, la CFDT en a toujours fait. Il est inscrit dans ses statuts que le syndicat participe de la construction de l’intérêt général. Edmond Maire expliquait en son temps qu’il était hors de question de se laisser enfermer dans le syndicalo-syndical. C’est très étonnant que l’exécutif ne le comprenne pas », s’amuse Frank Georgi, professeur d’histoire contemporaine à Paris-I et spécialiste de l’histoire des syndicats.

Le malentendu est profond, sans appel. Dès mars 2017, Macron avait expliqué sa vision verticale du pouvoir, et ce qu’il pensait des syndicats qui avaient une conception globale de leur rôle : « pervers ». La cogestion avec la CFDT, comme à l’époque de Hollande, c’était fini, vieux monde, beurk, poubelle. Le message était passé, et, juste après l’élection, Berger, sans se démonter, avait demandé dans « Le Monde » au nouveau président de « partager le pouvoir ». Oups.

Conscients de son potentiel et soucieux, peut-être, de préserver l’avenir, les vieux briscards se mobilisent pour lui et le font savoir. Bayrou, Muselier, Rebsamen ont tour à tour appelé l’Elysée. Dites, faudrait quand même le calculer, le Berger. Cohn-Bendit le pousse à aller plus loin, Anne Sinclair le conjure de réfléchir à la suite. Pourtant, ils sont peu nombreux à vraiment y croire. « Il y a trop de verrous. D’abord, il n’est pas prêt à y aller. Ensuite, il y a une méfiance de la CFDT envers la politique, et beaucoup de recul par rapport aux partis. La CFDT a vu la CGT décliner quand elle s’est trop liée au PC », assure Jean-Christophe Cambadélis.

La politique, si loin, si près…

Berger est un pur produit du syndicalisme chrétien, pour lequel, finalement, la politique n’est concevable qu’au niveau local. « Berger a été bercé par le discours de ces militants CFDT qui se sont investis au PS dans les années 70 et n’ont jamais caché leur déception face à une politique politicienne narcissique, qui ne sait que tourner sur elle-même et devient un repoussoir », précise Georgi.

Il n’ira sans doute pas, mais certains membres du gouvernement le ménagent, on ne sait jamais. La semaine dernière, Laurent Berger a montré à des proches un message d’Olivier Véran, envoyé à la sortie d’une émission sur France Inter. Le porte-parole du gouvernement s’excusait de l’avoir un peu étrillé. Tu comprends, Laurent, c’est comme ça, c’est le boulot, tu sais ce que c’est les éléments de langage. Berger a alors rangé son téléphone et esquissé un drôle de petit sourire. Navré.


Anne-Sophie Mercier. Dessin de Kiro – Le Canard Enchaîné. 12/04/2023