Les gardes-côtes libyens à l’assaut des navires humanitaires
La Méditerranée orientale est officiellement le nouveau Far West. Alors que les navires humanitaires de sauvetage en mer des exilés sont, depuis des mois, sous le feu des attaques politiques et juridiques des droites plus ou moins extrêmes de toute l’Europe, la tension est encore montée d’un cran. À la fm du mois de mars, l’ Ocean Viking – de l’association SOS Méditerranée – a dû fuir sous les tirs des gardes-côtes libyens.
« Nous avions repéré, dans les eaux internationales, une embarcation en détresse avec environ 80 personnes à bord, détaille Sophie Beau, présidente de l’ONG. Nous avançions dans sa direction quand un patrouilleur des gardes-côtes libyens est arrivé, s’approchant dangereusement de notre navire. Notre équipe a essayé de les contacter, en vain. C’est alors qu’ils ont commencé à se comporter de manière très agressive, nous menaçant avec des armes, tirant même plusieurs coups de feu en l’air. »
À la fois pour la sécurité de ses équipes et des naufragés qui commençaient à paniquer – plusieurs d’entre eux sont tombés à l’eau, avant d’être récupérés -, l’ Ocean Viking se résout à quitter les lieux, toujours sous la menace. Les exilés, eux, sont interceptés et reconduits dans l’enfer libyen.
Dans ces eaux qui relient l’Italie à la Libye, la situation se tend chaque jour un peu plus. « En janvier déjà, alors que nous étions sur un sauvetage difficile, un patrouilleur libyen était arrivé à toute vitesse, explique Sophie Beau. Il a effectué des manoeuvres extrêmement dangereuses, à proximité des différentes embarcations, essayant de faire chavirer notre canot qui était en train de ramener des naufragés vers notre navire principal. C’est évidemment contraire à toutes les règles de la navigation. »
Une situation qui se tend chaque jour un peu plus
Depuis 2018, l’Union européenne a délégué les « compétences de recherche et de sauvetage » dans ces eaux internationales à la Libye. Moyennant évidemment formation, équipements… et espèces sonnantes et trébuchantes.
« En réalité, cela alimente un cercle vicieux, affirme la présidente de l’ONG. Les personnes qui sont interceptées par les gardes-côtes libyens grâce à Fargent européen sont reconduites dans des camps où elles sont torturées. Pour sortir de là, leurs geôliers leur demandent de payer des sommes folles. Leurs familles, voire tout leur village, se saignent pour leur envoyer de l’argent et les sauver. Puis ils essaient de fuir par la mer et sont récupérés… Et tout cela engraisse les mafias et les réseaux de traite d’êtres humains. Vous imaginez le nombre de personnes que ça concerne ? C’est extrêmement lucratif. »
Dans un rapport rendu public le 3 avril dernier, la mission de l’ONU en Libye a qualifié de « crimes contre l’humanité » ce que subissent les exilés. Avec une conclusion sans appel : « Bien que nous ne disions pas que l’UE et ses États membres ont commis ces crimes, le fait est que le soutien apporté a aidé et encouragé la commission des crimes », a déclaré Chaloka Beyani, l’un des membres de cette mission.
Ava Roussel. Charlie hebdo. 15/04/2023
Une réflexion sur “Migrants”