… Comme sur des roulettes !
Après trente ans passés à la Commission européenne, le haut fonctionnaire français Alain Alexis a quitté, en janvier 2023, les bureaux de la Direction générale de la défense pour rejoindre ceux, plus cossus, du cabinet de conseil Avisa Partners. Un pantouflage lu et approuvé par l’institution, en dépit de la réputation sulfureuse de ce groupe spécialisé dans l’intelligence économique et la cybersécurité.
Fondé en 2010, codirigé par Arnaud Dassier – un proche d’Eric Zemmour – et Matthieu Creux, qui fut un temps conseiller ministériel de Valérie Pécresse, Avisa est accusé par de nombreuses enquêtes de médias français de mener des campagnes sur Internet pour le compte de sympathiques clients tels que le dictateur de la République du Congo, Denis Sassou-Nguesso, le Qatar ou le Kazakhstan. Bien qu’admettant avoir travaillé pour ces États, Avisa « dément toute pratique qui s’apparenterait, de près ou de loin, à de la manipulation de l’information ». Rassurant !
L’armée déserte
Avisa, ancien employeur de l’actuelle ministre du Commerce, Olivia Grégoire, se trouve, en outre, depuis des années dans le viseur des services de renseignement tricolores. Lesquels, comme l’a rapporté Médiapart en décembre, se méfient de sa capacité de déstabilisation, de ses connexions russes et de sa perméabilité aux conflits d’intérêts.
Le ministère des Armées, quant à lui, a carrément annulé sa participation à l’édition 2023 du Forum international de la cybersécurité, qu’organise Avisa à Lille en avril. Une décision motivée officiellement par une volonté d’économies et officieusement par le « risque réputationnel de travailler avec [le groupe]», comme l’a pudiquement indiqué à « Challenges » (1/2) une source de l’Hôtel de Brienne.
Pas de quoi dissuader la Commission de laisser filer l’un de ses principaux conseillers en matière de défense vers le sulfureux cabinet de conseil. Un conflit d’intérêts ? Que nenni, répond Avisa, qui affirme qu’Alexis se contente de travailler sur des questions de concurrence.
À Chypre en cachette
Selon les informations du « Canard », l’ancien haut fonctionnaire a pourtant discrètement participé, en février, à la conférence internationale de Chypre sur la sécurité de la défense. À cette occasion, il a pu croiser plusieurs de ses anciens camarades de la Commission, alors même que les règles de l’institution interdisent pendant un an à ses hauts fonctionnaires sur le départ de faire du lobbying auprès de leurs anciens services. « Alain Alexis est allé à cette conférence pour partager son expertise, sans rapport avec l’activité qu’il a pour nous », explique Avisa, affirmant ne pas jouer les groupes de pression en matière de défense à Bruxelles.
Peu de chances que la Commission prétende le contraire. L’exécutif européen dispose en effet d’un bien léger et opaque dispositif de contrôle du pantouflage, dont les limites ont été pointées par la médiatrice européenne, Emily O’Reilly, dans un rapport paru l’année dernière. Les décisions prises par la Commission à l’égard de ses futurs ex-fonctionnaires sont ainsi très rarement contraignantes, et encore plus rarement rendues publiques. Pour vérifier que ses anciens cadres exilés dans le privé respectent bien leurs obligations, Bruxelles ne dispose pas d’effectif ad hoc mais compte, comme l’explique l’une de ses porte-parole au « Canard », sur les « informations accessibles au public, notamment dans les médias ».
Infaillible !
Louis Colvert. Le Canard enchaîné. 05/04/2023