Énergie. C’est la fête !

C’est une photo presque trop belle pour être vraie, prise le 8 novembre 2011, dans le village de Lubmin, dans le nord de l’Allemagne. On y voit les Premiers ministres Mark Rutte (Pays-Bas), François Fillon et Angela Merkel, en compagnie du président russe Dmitri Medvedev, tout sourire, leurs mains posées sur une large fausse valve, lors de l’inauguration du pipe line Nord Stream.

L’idée était de relier l’Europe occidentale au gaz naturel de Sibérie en évitant les routes terrestres. Pour le ministre allemand de l’Économie de l’époque, Philipp Rôsler, Nord Stream améliorerait la sécurité de d’approvisionnement énergétique de l’Allemagne, « mais aussi de l’Europe entière ». Et, en effet, aux côtés de l’entreprise russe Gazprom – que l’ex-chancelier Gerhard Schrôder rejoindra sitôt après avoir été battu par Merkel -, majoritaire au sein du projet, on trouve des entreprises allemandes, bien sûr, mais aussi GDF Suez.

Angela Merkel récidivera en 2015, un an après l’annexion de la Crimée, avec la construction de Nord Stream 2, suscitant une immense colère de l’Ukraine, des pays Baltes et de la Pologne, qui y verront la perte d’importants revenus – Kiev en particulier – et une menace pour leur sécurité d’approvisionnement. Même Donald Trump avait déclaré que Nord Stream était « un énorme cadeau à Poutine » ! Les États-Unis ne cesseront de mettre l’Allemagne en garde, allant jusqu’à prendre des sanctions juridiques contre les entreprises parties prenantes (1). Mais pour Merkel, impossible de croire que la Russie, qui n’avait jamais coupé les approvisionnements durant la guerre froide, pourrait se priver des recettes du gaz. Loin de renoncer à cette source d’énergie très polluante nécessaire à son industrie, le pays vient d’annoncer un énorme plan de construction de centrales au gaz (2). Et après s’être jetée dans les bras de la Russie, l’Allemagne se tourne vers le Qatar : l’émirat, qui a déjà placé pour 25 milliards d’euros de billes chez Volkswagen, Deutsche Bank, Siemens…, va devenir le plus important investisseur de RWE, l’un des plus gros producteurs d’électricité d’Allemagne (3).

Enfin, le meilleur : nos joyeux voisins ont tenté, début mars, d’envoyer balader l’accord si difficilement obtenu en faveur de l’interdiction de production de voitures thermiques en 2035, le ministre des Finances, Christian Lindner, estimant que la décision sur les moteurs, « est une question pour les clients, pour les constructeurs, et pas pour des politiques (4) ». Il est depuis revenu sur sa position, mais à la condition expresse que les « carburants de synthèse », ou «e-fuels », chers, difficiles à produire et pas encore tous au point, soient autorisés – quitte à ce que ces bagnoles utilisent en fait du bon vieux pétrole pendant des années… Mais chez Ferrari, on explique que l’e-fuel permettra de « préserver [l’] héritage technologique ». Comment s’y opposer ?


Jacques Littauer. Charlie hebdo. 05/04/2023


  1. « Nord Stream, l’histoire d’un fiasco stratégique allemand », par Pascale Hugues ( Le Point, 17 mars 2022).
  2. « L’Allemagne veut doubler la capacité de production de ses centrales au gaz », par Nikolaus J. Kurmayer (Euractiv, 5 janvier 2023).
  3. « Le Qatar va devenir le plus gros investisseur de l’énergéticien allemand RWE », par Nathalie Versieux (RFI, 5 mars 2023).
  4. « Fin des voitures thermiques en 2035 : l’Allemagne revient sur sa position et refuse de voter le texte » (France Info, 7 mars 2023).