Laisser du grain à moudre

À défaut d’annuler la loi Retraites, les « sages » pourront se faire les dents sur quelques « cavaliers législatifs » que l’Élysée et Matignon n’ont pas laissés par hasard dans le texte.

Le gouvernement a pris soin de glisser dans la réforme des retraites quelques gâteries à l’intention du Conseil constitutionnel. Plus précisément des articles que ce dernier pourra censurer tout son soûl, sans que le contenu principal de la loi en souffre. De quoi donner l’occasion aux « sages » de jouer à peu de frais le rôle du gendarme intransigeant…

Ces gâteries, ce sont les « cavaliers législatifs » : des dispositions qui n’ont aucun rapport avec le sujet traité dans le texte en cause et sont destinées à finir dans la poubelle des gardiens de la Constitution. Le Conseil d’État avait déjà mis en garde le pouvoir, en janvier dernier, contre la présence d’une escouade de « cavaliers » dans l’avant-projet de loi sur les retraites. Le gouvernement n’avait alors tenu aucun compte de cet avertissement et avait maintenu les paragraphes contestés dans le texte définitif. En toute connaissance de cause.

Il en va ainsi de l’instauration d’un « index senior » (destiné à contrôler le taux de salariés âgés dans les entreprises) et de la création d’un contrat de travail senior. Deux mesures qui n’ont pas leur place dans une loi de financement de la Sécurité sociale et qui auraient dû figurer dans un texte spécial consacré à l’emploi.

Ce jeu des petits chevaux législatifs envoyés à l’abattoir du Conseil constitutionnel dure depuis des lustres. Certes, l’Assemblée et le Sénat ont récemment entrepris de contrôler plus sévèrement la légalité des amendements proposés par les parlementaires. Mais pas ceux des ministres, qui continuent de cavaler à bride abattue.

De nombreux projets de loi arrivent donc sur la table des « sages » accompagnés d’escadrons de cavaliers. En 2020, le Conseil en a ainsi débusqué 26 dans la loi sur l’accélération et la simplification de l’action publique. Puis 14 dans la loi Climat de 2021, 10 dans le budget 2022 et autant, en mars dernier, dans la loi sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables…

« Sages » ou obéissants ?

Théoriquement, Laurent Fabius et ses collègues pourraient aller beaucoup plus loin dans la censure de la loi Retraites. Comme l’a souligné « Le Canard » (29/3), ils ont la possibilité de tout annuler s’ils estiment que les débats parlementaires ont été « insincères » en raison du cumul de plusieurs procédures d’exception déclenchées par le gouvernement : le 47.1, puis le 44.3, et, enfin, le 49.3.

Ce risque est jugé négligeable par la Macronie. Sur les neuf membres du Conseil, sept n’ont-ils pas été nommés, soit par l’actuel chef de l’État, soit par le très macroniste Richard Ferrand (ex-président de l’Assemblée), soit par le LR Gérard Larcher, patron du Sénat et farouche partisan du report de l’âge de la retraite ? Pour ne pas perdre la face, les gardiens de la Constitution devraient donc se contenter de tirer l’oreille au gouvernement. Sur le thème : « Va pour cette fois-ci, mais ne recommencez plus, chenapans ! »

L’Élysée et Matignon ont un dernier souci : le référendum d’initiative partagée (RIP), proposé par des parlementaires de la Nupes pour obliger le pouvoir à organiser un vote populaire sur le maintien de la retraite à 62 ans. Le Conseil constitutionnel doit dire le 14 avril si le processus peut être enclenché et lancer, le cas échéant, la collecte des 5 millions de signatures nécessaires.

Ce référendum n’aura pourtant jamais lieu, les politiques de tout bord le savent bien. Et pour cause : la Constitution est taillée sur mesure pour rendre quasi impossible la tenue d’un RIP. Elle prévoit qu’aucun référendum ne sera organisé si le texte qu’il porte (le maintien de la retraite à 62 ans) a été simplement « examiné au moins une fois » (et non pas « adopté » ou « rejeté ») par le Palais-Bourbon et par celui du Luxembourg dans les six mois suivant la validation définitive de la procédure par les juges constitutionnels.

Requiem pour le RIP

En clair : pour qu’un référendum soit convoqué, il faudrait que le président de l’Assemblée ou celui du Sénat rallie le camp du RIP et refuse d’inscrire ce texte à l’ordre du jour. Il y a peu de risque. RIP, comme « Repose en paix »… Pour Macron et Borne, le péril est ailleurs : le duo exécutif ne tient pas à voir la Nupes atteindre la barre des 5 millions de signataires, un score qui risquerait de relancer la contestation sur le thème du « déni de démocratie ».

Afin de torpiller le projet, les juristes de Matignon ont imaginé un raisonnement un brin pervers exposé en deux temps, trois mouvements dans un mémoire déposé, le 24 mars, auprès des « sages ». Primo : la loi en vigueur aujourd’hui fixe la retraite à 62 ans, et ce, tant que la réforme ne sera pas promulguée. Deuzio : la proposition de loi RIP se contente de répéter que l’âge de départ est fixé à 62 ans. Conclusion : le projet de référendum ne change rien à la législation actuelle, il est donc vide de sens, ce qui le rend – de facto – anticonstitutionnel !

Il fallait oser…


Hervé Liffran. Le Canard enchaîné. 05/04/2023


Une réflexion sur “Laisser du grain à moudre

  1. bernarddominik 06/04/2023 / 17:19

    Oui tout à fait c’était mon commentaire dans un précédent article. C’est fait exprès pour constituer un alibi, et en plus ça arrange Macron car le patronat n’en voulait pas.

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