Nouvel ordre mondial

Faut-il à tout prix se passer des Occidentaux ?

L’ordre international bouge, c’est une évidence. Non seulement le leadership américain est contesté, mais, d’une manière plus globale, les pays du Sud reprochent aux Occidentaux, donc aux Européens, de leur imposer des normes culturelles qui, n’étant pas les leurs, ne permettent pas de résoudre les conflits.

La réussite de la médiation chinoise entre l’Iran et l’Arabie saoudite est une illustration d’un changement fondamental de paradigme. Au XIXᵉ siècle, les traités de paix étaient signés en Europe (celui de Berlin, en 1885, entérine le partage de l’Afrique ; ceux de Sèvres et Lausanne, en 1920 et 1923, dépècent l’Empire ottoman) ou aux États-Unis (la charte de San Francisco fonde l’ONU en 1945), aux conditions des Européens et de leurs alliés américains. Désormais existent d’autres puissances médiatrices, dont on ne doute pas qu’elles aient des idées derrière la tête, en termes d’influence économique et politique. Ainsi de la Turquie, qui tente de se poser en arbitre de la guerre en Ukraine. Cela signifie-t-il que le monde occidental est en train de sortir de l’Histoire, ou du moins de perdre son hégémonie ? Il y a de cela.

Désormais, il existe d’autres puissances médiatrices

Entendons-nous bien, les Occidentaux n’ont aucun droit inaliénable à tout régenter, et le monde multipolaire est une option parfaitement recevable. Le problème avec l’arrivée de nouveaux négociateurs de conflits, ce sont les conditions avec lesquelles ils arrivent à leurs fins : on peine à concevoir, par exemple, que la Chine fasse du respect des droits de l’homme la condition sine qua non d’un traité qu’elle aiderait à conclure. Autres exemples glanés à l’occasion d’un récent forum sur la sécurité globale : j’ai assisté à une discussion entre acteurs de l’opposition afghane qui, tous, souhaitaient que ce soient eux, et eux seuls, qui déterminent les modalités du dialogue avec les talibans. Pour certains, ce dialogue doit s’ouvrir sans conditions, notamment sur l’aide humanitaire, l’essentiel étant que ce soient des Afghans qui traitent avec d’autres Afghans. Pour d’autres – la majorité -, il ne peut y avoir de dialogue que si les barbus reviennent sur leur exclusion des femmes. La différence est de taille, parce que dans le second cas, le dialogue se fait sur des bases universalistes et, dans le premier, sur des bases culturalistes. Or l’universalisme auquel nous sommes attachés est un produit des Lumières, qui elles-mêmes ont émergé dans l’espace culturel européen, et nulle part ailleurs. Ce qui n’est pas une raison pour abandonner l’objectif qu’elles aient une portée générale.

Lors de la même conférence, j’entendais l’Union africaine se féliciter d’avoir chaperonné, à l’automne 2022, les discussions directes, ouvertes, en Afrique du Sud, entre les rebelles tigréens et le gouvernement éthiopien. Sous-entendu : la paix en Afrique sera discutée sur le continent et entre Africains. Très bien ! L’Union veut même la création d’une force africaine, non d’interposition (donc sans mandat de combattre) mais d’action, sous mandat international. Pourquoi pas ? Oui, mais à des conditions : celles des droits humains, du droit humanitaire et du droit de la guerre, créations occidentales, là encore. À la condition aussi de ne pas oublier que les Occidentaux forment encore les officiers de ces armées africaines, que nos États financent les leurs, que leur armement est notre technologie. II n’y a pas de honte à rappeler cela, parce que si nous ne le faisons pas, nous laissons le terrain à Wagner, à l’influence de Moscou, d’Ankara et de Pékin, influences dont on peut douter qu’elles soient plus bénéfiques pour les peuples du sud que la nôtre.


Jean-Yves Camus. Charlie hebdo. 29/03/2023


Une réflexion sur “Nouvel ordre mondial

  1. bernarddominik 03/04/2023 / 14:12

    A voir les manifestations anti françaises au Mali et au Burkina on peut se poser des questions sur nos valeurs: sont elles réellement universelles? S’ils veulent wagner et ses soudards qu’ils les prennent. Quant à l’Arabie et aux Émirats ils coûtent mains et têtes pour un vol, qu’ils se rapprochent de l’Iran qui a des valeurs proches, quoi d’étonnant. A trop vouloir lier nos normes humanistes à notre commerce nous allons finir par ruiner notre pays. C’est triste mais c’est comme ça

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