L’ogre de l’édition

L’histoire sans fin de la main mise sur l’édition française vient de connaître un nouvel épisode avec l’annonce, le 8 mars 2023, de l’ouverture de négociations exclusives du groupe Vivendi avec Daniel Kretinsky.

En février 2022, Vincent Bolloré lance une OPA sur le groupe Lagardère. Arnaud Lagardère avait en effet fait appel à lui pour sauver sa place à la tête de l’entreprise, lourdement endettée. Mais le chevalier blanc se mue en prédateur. Ses 57,35 % du capital ne lui suffisent pas.

Problème : Vivendi, une branche du groupe Bolloré, et Hachette, fleuron de Lagardère, sont respectivement numéros deux et un de l’édition. Leur réunion créerait un monopole que l’Union européenne ne saurait tolérer.

« La famille Bolloré ne serait pas seulement à la tête d’un éditeur, mais d’un énorme conglomérat multimédia, avec Canal Plus et tout un empire de presse, une agence de communication et de publicité, Havas, des salles, un studio de production cinématographique, un éditeur de musique, des jeux vidéo, des entreprises Web et un ensemble d’éditeurs étrangers. Ajoutons un réseau de distribution très étendu, et c’est tout l’écosystème de la création, avec sa déclinaison sur différents supports, qui est en jeu. »

Déjà, dans les rédactions d’Europe 1, de Paris Match – qui ne sont pas encore à lui –, Vincent Bolloré impose ses hommes et dégage ceux qui ne se soumettent pas. Omniprésence sur C8 de Cyril Hanouna, plusieurs fois condamné pour incitation à la haine raciale, ménage en grand sur Canal Plus, parachutage chez Plon (une des maisons d’Editis) de Lise Boëll, l’éditrice d’Éric Zemmour, enfin censure d’un livre de Guillaume Meurice à paraître aux éditions Le Robert : la liste est éloquente. Et ce patron ultraconservateur risque d’avoir un empire jamais vu.

La riposte s’est organisée. Le 8 mars, huit députés de la Nupes envoient une lettre ouverte à Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, demandant une intervention. Ils déclarent « inacceptable » la concentration de « 59 % de part de marché en littérature générale, 65 % en poche et 83 % en parascolaire (…) entre les mains d’un tel monopole idéologique ».

À Bruxelles, la commissaire à la Concurrence Margrethe Vestager rendra son rapport le 23 mai 2023. Mais, on le sait déjà, il conclut que l’OPA de Vivendi « entrave de manière significative la concurrence ». Bolloré, s’il veut garder Hachette, doit se séparer d’Editis. Après différentes manœuvres, il s’est résolu à vendre le numéro deux de l’édition pour garder le numéro un.

Commence alors un étrange ballet. Dans un premier temps, un trio formé de Stéphane Courbit, Pierre-Édouard Stérin et Daniel Kretinsky semble tenir la corde. Mais le premier, un producteur audiovisuel, a des intérêts communs avec Bolloré. Le deuxième, fondateur de Smartbox, s’est trop mouillé aux côtés d’Éric Zemmour pour être présentable.

Reste Daniel Kretinsky, milliardaire tchèque ayant fait fortune en rachetant des entreprises mal en point et polluantes, comme des centrales à charbon. Très discret, il a acquis des positions importantes dans la presse : Libération, Marianne, Télé 7 jours, une participation significative au capital du Monde et, a-t-on appris mercredi, 25 % du capital de la Fnac.

Quelles sont ses intentions ? C’est ce qu’aimeraient bien savoir les salariés d’Editis qui n’ont pas envie d’être vendus avec les meubles. Les syndicats ont rappelé leurs exigences. Demandant d’abord un maintien de l’emploi, un projet d’investissement pour un développement à long terme, des garanties de cohérence entre édition, diffusion et distribution.

Et évidemment, la garantie de la liberté éditoriale et le maintien de la convention collective. Selon un communiqué envoyé le 24 mars par la DRH et la secrétaire du comité Editis, une réunion extraordinaire se tient ce matin, en présence des syndicats.

Selon nos sources, y seront aussi présents Denis Olivennes, président du conseil de surveillance de CMI France, et Branislav Miskovic, un financier proche de Daniel Kretinsky, membre du conseil d’administration de CMI et administrateur à la FDPI, le fonds de dotation qui a renfloué Libération.


D’après une article signé Alain Nicolas. Source (Extraits)


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