Le non respect…

En montagne, disparition du silence

À La Plagne, un guide s’est fait tabasser pour avoir osé protester contre le vacarme d’un bar d’altitude. Pourtant, à la montagne, le silence est bel et bien disparu.

« Ne dites rien. Ne bougez plus. Tendez l’oreille, vous allez entendre quelque chose de rare. » Au loin, un chien aboie. Quelques oiseaux gazouillent. Puis plus rien, la nature s’est tue. Quelque chose semble avoir changé, comme si un nuage de coton avait recouvert l’atmosphère. Daniel Truel sourit. « Vous entendez ? C’est le silence. »

Une journée de marche aura été nécessaire pour le trouver, sur ce domaine skiable de La Plagne, en plein cœur des Alpes. À 1 800 m d’altitude, le vacarme s’est invité dans la balade. Avec ses raquettes, Daniel Truel s’enfonce dans la neige, direction une zone protégée en amont de la station. Il est guide depuis vingt ans à La Plagne, mais il s’émerveille comme un enfant devant le mont Blanc qui se détache à l’horizon, sa tête de surfeur déguisé en montagnard éclairée par l’enthousiasme. Les paysages sont tout en courbes, un Sahara de sucre sur lequel on aurait planté des pins cembro, eux-mêmes étonnés d’avoir réussi à s’épanouir ici.

Alors qu’on progresse dans la poudreuse, un brouhaha invisible s’épaissit : un air de techno craché à pleine bourre par des enceintes géantes. La nature semble faire une crise de tachycardie. Derrière une crête, nous découvrons un bar d’altitude, La Bergerie, où une foule de jeunes entre 20 et 30 ans se trémoussent sur une estrade. Il y a des fourrures, des lunettes de soleil, des bières, des selfies.

Sur un balcon, un DJ fait crier Rihanna, « Please don’t stop the music, music », et des serveuses en justaucorps léopard prennent les commandes. Difficile d’interviewer les clients tant on peine à s’entendre, mais on parvient à comprendre deux, trois Anglaises qui brandissent leur verre de rosé : « Trop de son ? Non ! On ne veut pas de silence, on veut juste faire la fête. » Un jeune trentenaire se lance dans une explication plus complexe : « Ce qui est bien, justement, c’est de s’amuser en plein air, en pleine nature. Le contraste est extra. »

L’enfer des bars

C’est dans ce bar imitant le concept de Folie douce, ces boîtes de nuit en plein air qui se développent depuis une quinzaine d’années aux abords des pistes, que la vie de Benoît Cheval a basculé, mi-janvier. Depuis trois ans, le guide tentait de faire baisser le volume du bar, en engageant d’abord une discussion avec les propriétaires puis en déposant une plainte avec l’association locale Vivre en Tarentaise.

Mais rien ne bouge : alors, un après-midi, tandis qu’il skie dans les environs, il a une idée. Prétextant vouloir passer un message pour retrouver une enfant perdue, il parvient à monter à la balustrade et s’empare du micro. « Bonjour, je suis guide de montagne, et il est très compliqué pour nous de travailler avec tout ce vacarme », explique-t-il devant 200 clients médusés. À peine le temps de poursuivre qu’il est happé par le service de sécurité. Les coups pleuvent, Benoît Cheval est passé à tabac. Lorsque les gendarmes arrivent, il est finalement évacué sur une civière, inconscient. Sept jours d’ITT.

Après son agression à La Bergerie, Benoît Cheval a porté plainte. Son procès est aussi celui du bruit dans la station : était-il légitime de prendre le micro ? Les autres procédures engagées contre le bar pour tapage n’ont rien donné. En ville, les autorités sanctionnent si les riverains se plaignent. Mais en pleine nature, les marmottes en hibernation ne sont pas considérées comme un voisinage digne de ce nom. La pollution sonore en montagne est un angle mort juridique.


Coline Renault Charlie Hebdo. Consultation libre de l’article a cette adresse


Dessin de Zorro – Charlie Hebdo – 29/03/2023.


Une réflexion sur “Le non respect…

  1. bernarddominik 31/03/2023 / 20:24

    Le bruit est la plaie de notre époque . Et ça ne sert à rien de porter plainte: ne respecter ni la loi ni les habitants est devenu un sport national avec la bienveillance de l’état

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