Le fantasme prométhéen
Parmi les climato-sceptiques, il y a les petits bras. Ceux qui en appellent à des données scientifiques faussées. Au canular destiné à instaurer par la peur un gouvernement mondial et un contrôle total des humains. À une blague perpétrée par des radicaux de gauche. À un mythe qui doit sauver les investissements dans les énergies renouvelables ou sécuriser des budgets de recherche. À une escroquerie de la Chine pour faire la nique à la compétitivité américaine. Bref, du classique.
Et puis, il y a les molosses, telle cette théorie phare du complotisme climatique liée au projet Haarp, très populaire ces dernières années, car parade idéale Ma réalité des conséquences du changement climatique. Le principe est simple : feux de forêt, inondations et ouragans à répétition seraient les résultats d’une arme secrète de l’armée américaine pour contrôler le climat et attaquer les nations ennemies. Comme toute bonne fake news, Haarp (High frequency active auroral research program) puise son origine dans le monde réel : c’est un laboratoire de recherche américain situé en Alaska, opérationnel depuis 1993, et qui a pour but d’étudier la haute atmosphère, particulièrement sensible à l’activité solaire.
Pour comprendre ses caractéristiques complexes et variables, un réseau d’antennes dirige vers une zone très localisée du ciel, à quelques centaines de kilomètres d’altitude, des ondes radio à haute fréquence afin de réchauffer une fine bande de l’ionosphère sur quelques mètres d’épaisseur. Plus particulièrement, Haarp permet d’étudier à très petite échelle — la puissance des ondes radio reste négligeable par rapport aux rayons du Soleil — les perturbations générées par les orages magnétiques, qui peuvent affecter les systèmes de télécommunications terrestres et spatiaux.
Il n’en faut généralement pas beaucoup plus pour alimenter les fantasmes. D’après les adeptes de cette théorie du complot, des installations Haarp seraient cachées partout dans le monde afin de déclencher telle ou telle catastrophe naturelle. Que le territoire américain soit la première victime du changement climatique, frappé par des inondations et des tempêtes à répétition, ne semble pas les perturber.
Ces dernières années, les réseaux complotistes ont exulté pendant les épisodes de sécheresse ou d’inondations en Chine, au Moyen-Orient ou en Europe. À l’été 2021, dans une vidéo tournée avec un téléphone portable et diffusée sur TikTok et Twitter, on apercevait des assaillants qui s’en prenaient à des rangées de pylônes électriques.
La légende indiquait que des Brésiliens se révoltaient contre les antennes d’un réseau Haarp. En fait, il s’agissait de simples installations électriques, détruites lors d’une révolte dans une ferme au Brésil en 2017.
Moins spectaculaire mais encore plus répandue chez les paranos du climat, la théorie des chemtrails avance que les traînées blanches générées au passage des avions de ligne ou militaires sont composées de tout un tas de cochonneries chimiques (particules d’aluminium, de titane ou de baryum…). Ces épandages malveillants seraient destinés, au choix, à provoquer la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, à affaiblir les défenses immunitaires pour réduire la population mondiale, à saboter les récoltes de pays ennemis, ou encore à contrôler purement et simplement la météo.
Particulièrement ancrée dans l’imaginaire collectif, cette théorie s’est récemment invitée dans les débats de l’Assemblée nationale ou du Parlement européen, mais aussi dans les tubes de stars internationales telles que Prince, Lana Del Rey ou Placebo…
Selon la revue Nature, la théorie séduisait au moins un Américain sur trois en 2017, et environ 15 % des Français d’après un sondage Ipsos de 2020. Pourtant, le mystère des panaches de fumée blanche n’est pas très difficile à lever. Condensation, variations de pression ou d’humidité dans l’atmosphère, réfraction de la lumière sur des cristaux de glace ou des particules de kérosène : les mécanismes physiques à l’origine de ce phénomène font l’unanimité dans le monde scientifique.
Si ces théories farfelues de contrôle du climat ont autant de succès, c’est parce qu’elles puisent leurs grands principes dans une filière scientifique qui a toujours alimenté la science-fiction et les médias : la géo-ingénierie. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis et l’Union soviétique cherchent de nouvelles armes capables d’anéantir le camp adverse.
C’est aussi à cette époque que les scientifiques commencent à comprendre que les activités industrielles humaines peuvent être à l’origine de phénomènes de changement climatique.
Pourquoi ne pas combiner les deux pour lancer une nouvelle forme de guerre météorologique? D’autant qu’en 1946, le prix Nobel de chimie Irving Langmuir a démontré que l’ajout de certaines substances dans les nuages permet d’accélérer la formation de gouttelettes et d’influencer dès lors les précipitations.
C’est ainsi qu’à partir de mars 1967, dans le cadre du conflit vietnamien, l’armée américaine passera à l’action en dispersant de l’iodure d’argent dans le ciel, avec l’espoir de prolonger la saison de la mousson et de ralentir le ravitaillement des troupes adverses.
Désormais interdites à des fins militaires dans les traités internationaux, les techniques d’ensemencement des nuages sont surtout utilisées pour lutter contre des épisodes de sécheresse localisés ou pour faire tomber la pluie avant qu’elle ne se transforme en grêle. En Chine et en Russie, on aime déclencher des averses avant les cérémonies officielles, pour ne pas gâcher la fête.
Entendons-nous bien : l’être humain est très loin de savoir faire la pluie et le beau temps. L’efficacité de ces techniques d’ensemencement est encore très difficile à évaluer, et on ne devrait pas dépasser les 10 à 20 % d’augmentation des précipitations dans le meilleur des cas. Contrôler le climat à l’échelle de la planète est encore plus illusoire, et les start-up qui jouent aux apprentis sorciers dans l’espoir d’inverser le processus de réchauffement climatique font l’objet de nombreuses controverses.
C’est le cas de Make Sunsets, qui propose actuellement d’envoyer des ballons météorologiques dans la stratosphère pour émettre des particules de soufre afin de réfléchir les rayons du Soleil et de refroidir la planète. Hélas, nos connaissances sont insuffisantes pour prévoir les conséquences exactes de ces actions, qui pourraient au contraire aggraver localement la situation.
Finalement, les complotistes ont une foi particulièrement développée dans la toute-puissance de la science et de la technologie. Les dérèglements climatiques actuels montrent pourtant à quel point l’humanité se retrouve dépassée face au déchaînement de la nature.
Edgar Lalande. Charlie hebdo. N° 3H – HS. Février-mars 2023
Oui, on est complètement dépassé, on pourrait en faire plus sans bien savoir quoi
Merci Anne pour ce commentaire.
À vouloir trop d’avancement divers, on oublie de revenir à l’essentiel.
Amitiés
Michel