Le taiseux se lâche

Mais, ces mecs, en fait, ils ont peur de quoi ?

Quand il est seul avec son premier cercle, Edouard Philippe, du genre taiseux ces temps-ci, se lâche, un peu. Depuis qu’il a été viré par Macron de Matignon, où il serait bien resté, il a pourtant tout bien fait. Silence dans les rangs, tous derrière le chef.

Résultat : Macron, qui avait sans doute mieux à faire, s’est décarcassé pour empêcher les philippistes, regroupés au sein d’Horizons, de mettre la main sur un autre parti de la galaxie présidentielle, Agir. Un combat véritablement planétaire pour lequel la Présidence a déployé beaucoup d’énergie, presque autant que pour empêcher Horizons d’avoir de bonnes investitures aux législatives.

Dans la foulée, les macronistes se sont mis à rigoler un peu trop fort de la transformation physique de l’ancien Premier ministre, atteint d’alopécie, et ils multiplient les petits noms vachards, soufflés à la presse en fin de déjeuner, entre la poire et le fromage. Tiens, reprends une petite gorgée de prune, non, elle n’est pas trop sucrée, et écoute celle-là, « Giscard sans d’Estaing », c’est fendard, hein, et, « Delors en plomb », reconnais que c’est bien envoyé, tu préfères laquelle ? Tu peux balancer les deux, c’est cadeau. T’as compris l’idée : c’est l’histoire du type qui se la raconte et qui n’ira nulle part.

Désormais, la baston est publique à l’Assemblée. Aurore Bergé, la patronne des députés macronistes, et Laurent Marcangeli, le chef de la troupe philippiste, ne font même plus semblant. Renaissance a fait échouer un texte des philippistes qui réclamait le rétablissement des peines planchers pour les auteurs récidivistes de violences envers les agents publics, et Horizons a planté une pro position de Bergé visant à rendre inéligibles les personnes condamnées pour violences conjugales.

Philippistes d’échauffement

La guerre n’en est qu’à ses débuts, car, entre Macron et celui qui fut plus de trois ans son bras droit, il y a beaucoup de cadavres dans le placard, dont Philippe feint d’ignorer l’existence. « Edouard Philippe n’a jamais été dans le dépassement du clivage droite-gauche, le grand truc de Macron, et il n’a jamais fait semblant de l’être. Le trio de Matignon -Edouard Philippe, son alter ego, Gilles Boyer, et son directeur de cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas – a fini par insupporter l’Elysée. L’entourage de Philippe, ce groupe de gens sortis du Conseil d’Etat, partisans d’une thérapie de choc pour la société française et complètement coupés du peuple, est aujourd’hui rendu responsable des pires trous d’air du premier quinquennat, en particulier de l’épisode des gilets jaunes », raconte un député macroniste.

Edouard Philippe n’a jamais esquissé le moindre mea culpa sur le sujet. Il faut dire que le maire du Havre s’aime bien.

Réfléchir ? mais à quoi ? Au destin du pays, certainement, à ses propres erreurs, vous n’y pensez pas. Son ironie permanente, son petit sourire en coin, ce sentiment d’être intellectuellement supérieur à tous les ploucs qu’il croise sont « un rien urticants », assure un ancien ministre. « En plus, Edouard Philippe a un petit talent de plume, ce que Macron ne supporte pas », rigole une communicante proche de l’Elysée. « Philippe séduit par son côté rieur, vanneur et son refus absolu de tout protocole », ajoute un grand maire membre d’Horizons.

Les troupes philippistes, composées de nombreux élus, continuent de grossir. « Il y a tout un défilé d’élus centristes qui flirtent avec les philippistes depuis que l’UDI est comme un bateau ivre – depuis le retrait de Jean-Christophe Lagarde », confie un élu, qui ajoute : « Tout le monde pense à sa réélection, et plus personne n’a confiance en Macron, très affaibli ».

Pas de nuages à Horizons

En tête du baromètre de sympathie des personnalités politiques, loin devant Macron, Philippe creuse son sillon. Plutôt à droite, vers LR, et un chouia au-delà. La retraite ? 64 ans ne suffiront pas. La dette ? Va falloir faire très gaffe. La proposition de rétablissement des peines planchers est interprétée comme un clin d’œil plus à droite encore.

Il ne regarde même pas ses concurrents restés proches de Macron. Bruno Le Maire ? Trop caricatural. Darmanin ? Petit sourire en coin. Philippe, enfant gâté de la politique dans le bec duquel Le Havre est tombé tout cru, nommé Premier ministre sans jamais avoir été ministre, est déjà sur la ligne de départ pour 2027.

Sa candidature est si naturelle à ses yeux qu’il n’a même pas besoin d’en parler. Dans un texte récemment publié par « Libération », Gaspard Gantzer, ancien conseiller de François Hollande, voit en lui un symbole de la modernité en politique. Moderne car parlant de son alopécie, assumant, donc, assure Gantzer, sa « vulnérabilité ».

Vulnérable ? Il n’est pas interdit d’esquisser un petit sourire en coin.


Anne-Sophie Mercier. Le Canard Enchainé. 15/03/2023


2 réflexions sur “Le taiseux se lâche

    • Libres jugements 24/03/2023 / 10:11

      Merci Christine pour ton commentaire.
      Peut-être faudra-t-il s’habituer à voir cette tête qui risque (éventuellement) de briguer lors de la prochaine élection présidentielle à se retrouver locataire temporaire du palais de l’Élysée !
      Malheureusement, il paraît bien difficile, dans les conditions actuelles, de voir accéder à la fonction suprême, une ou un gugusse dans la même lignée de gouvernance que notre Macron national.
      Amitiés
      Michel

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