Pas de retraite pour les corporations

Les professionnels capables de bloquer le pays ont sorti le grand jeu pour défendre leurs intérêts. Pilotes, routiers, pompiers, policiers : le gouvernement a compris le message et sorti le chéquier.

Pour. les autres, d’accord, mais surtout pas pour moi ! Depuis l’annonce du projet de réforme des retraites, chaque corporation dotée d’un pouvoir « de nuisance », comme dirait aimablement le gouvernement, a contacté l’exécutif en lui promettant blocages et grèves paralysantes s’il s’en prenait à son régime particulier. Matignon et les ministres les plus concernés (Transports, Intérieur et Travail) ont vite calmé ce petit monde, au prix de jolies concessions financières. Inventaire non exhaustif de ces lobbys si persuasifs.

Pilotes en piqué

Le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) l’a annoncé le 2 mars, dans un tract à peine triomphaliste : « L’âge légal [de départ à la retraite] ne sera pas touché par la réforme. » Actuellement, les quelque 8 500 pilotes de ligne français peuvent partir à taux plein à 60 ans ou continuer de voler jusqu’à 65 ans en bénéficiant d’une jolie surcote. Travailler deux ans de plus en étant privé de surcote entre 63 et 65 ans ? « Inacceptable », a écrit, le 8 février, à la Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers, le syndicat des compagnies aériennes, Karine Gély, la présidente du SNPL. Qui a exigé un dédommagement financier pour sauver ce bonus. Et le syndicat de rappeler qu’il avait jusque-là « fait le choix d’être une force de proposition plutôt que de [mener] une grève dur e ». A bon entendeur, salut !

Clément Beaune, le peu hardi ministre des Transports, entend vite. Le 14 février, l’Etat s’engage à financer, à parts égales avec les compagnies aériennes françaises, les 100 millions qu’il va falloir verser en compensation à la caisse des retraites des pilotes d’ici à 2030. Illico, le SNPL annonce qu’il « n’appellera pas à rejoindre le mouvement unitaire du 7 mars ». La peur a donné des ailes au gouvernement.

La route enchantée

Autres grands perturbateurs potentiels des transports, les routiers (chauffeurs de poids lourd, mais aussi de car, convoyeurs de fonds, déménageurs, etc.) sont restés inhabituellement calmes. Pas de blocage du pays, comme redouté ; à peine quelques barrages filtrants sporadiques. Les routiers semblaient pourtant remontés à bloc, entamant même « une grève anticipée » le 5 mars au soir, deux jours avant la grève nationale du 7. Or, au même moment, le ministre des Transports négocie sans relâche. Le 6 mars, à quelques heures de la manifestation nationale, Clément Beaune adresse un courrier aux syndicats, annonçant que le gouvernement accepte de prolonger jusqu’à 2030 le congé de fin d’activité, une sorte de régime spécial qui permet aux routiers de cesser le travail cinq ans avant l’âge légal en conservant de 80 à 100 % de leur salaire net. Un « engagement majeur (…) auquel peu de syndicats s’attendaient », s’est vanté le ministre auprès des « Echos » (10/3). Il coûtera plus de 1 milliard aux finances publiques.

Fonctionnaires désactivés

Les fonctionnaires dont la tâche est particulièrement fatigante ou risquée (policiers, pompiers, gardiens de prison, éboueurs, etc.) bénéficient d’un départ anticipé à la retraite. A condition – jusqu’ici – de finir leur carrière dans la profession concernée. De même, un salarié qui passait d’une profession « active » à une autre ne pouvait pas cumuler les années de service dans ces différentes professions, ce qui retardait d’autant son départ à la retraite. Deux clauses carrément supprimées dans le projet de loi. Pour encourager ces fonctionnaires « actifs » à rester passifs devant les appels à la grève ?

Caisses complémentaires à double fonds

Le gouvernement avait inséré dans sa loi un vieux projet transférant à l’Urssaf la gestion des 85 milliards de cotisations des prospères caisses de retraite complémentaire, en tête desquelles l’Agirc-Arrco. Au grand dam de cette dernière, qui y voyait le début de la mainmise sur ses 70 milliards de réserves afin de renflouer le gouffre des régimes de base. Mais le gouvernement s’est brusquement ravisé. « Les inquiétudes (…) des régimes de retraite complémentaire [n’ayant] pas pu être levées , le gouvernement préfère retirer ce projet de réforme », précise l’étude d’impact. Cette douceur avait pour but de convaincre l’Agirc-Arrco de mettre une partie de ses excédents (autour de 4 milliards prévus en 2030) au service du financement de la retraite minimale à 1 200 euros, qui coûtera 1,5 milliard par an.

Quand il s’agit d’aider les pauvres, qui peut dire non ?


Hervé Martin. Le Canard enchaîné. 22/03/2023


Une réflexion sur “Pas de retraite pour les corporations

  1. bernarddominik 23/03/2023 / 15:17

    Comme d’habitude. Les syndicats ne défendent pas les travailleurs mais leurs intérêts de caste.

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