La médiatisation des violences faites aux femmes a fait apparaître sur le devant de la scène des avocates devenues des « stars » dans ce domaine. Mais plusieurs de leurs clientes réalisent aujourd’hui que leur vulnérabilité aurait été exploitée financièrement, avec des honoraires très élevés.
Nous avons recueilli le témoignage de victimes qui se sont ruinées, dépensant plus de 70 000 euros en frais d’avocat. Ce qui, au passage, bat en brèche l’idée que ces personnes porteraient plainte pour se faire de l’argent. Elles dénoncent des procès ratés, des dossiers bâclés. La relation d’une victime à son avocat est un sujet dont on parle peu, qui s’ajoute aux problèmes d’une machine judiciaire souvent défaillante pour prendre en compte les violences conjugales.
Sur le plateau de l’émission C ce soir, le 8 mars, sur France 5, intitulée « Féminicides : l’échec français », Laura Rapp lance une petite bombe. La jeune femme dénonce des avocates qui exploiteraient la situation des femmes victimes. Elle-même est une rescapée de violences conjugales : en 2018, son compagnon tente de l’étrangler, devant sa petite fille de 2 ans, après l’avoir régulièrement humiliée et frappée au cours de leur relation.
Son compagnon est condamné en 2019 à huit ans de prison pour tentative d’homicide. Après avoir failli en mourir, elle a fait de ce sujet le combat de sa vie. Elle a raconté son histoire dans un livre (l) et a été aussi l’objet d’un film (2). Mais ce soir-là, si elle prend la parole, c’est pour dénoncer un élément peu entendu jusque-là : la difficulté pour les victimes d’engager un bon avocat et de pouvoir faire face financièrement.
« Trouver un avocat qui soit bon et professionnel, qui soit transparent et fasse bien son travail, c’est chercher une aiguille dans une botte de foin », dénonce-t-elle. Elle pointe des avocats « influenceurs » qui passent leur vie sur des plateaux de télévision, qui font leur business sur le dos des victimes.
Si elle prend ainsi la parole, c’est qu’elle s’est ruinée avec des frais considérables, 75 000 euros au total, dont 50 000 euros avec une seule avocate, Me Tomasini, qu’elle a payée tant bien que mal, y engloutissant toutes ses économies et celles de ses parents. Aujourd’hui, elle vit â crédit, essorée et endettée. Comme d’autres victimes, Laura s’est tournée vers cette avocate très médiatique, celle qui a aussi défendu Jacqueline Sauvage, Alexandra Lange ou encore Valérie Bacot, trois femmes victimes des pires violences et qui ont tué le compagnon qui les frappait.
Laura avait placé beaucoup d’espoir en elle, mais aujourd’hui la rupture est totale. Si Laura en est arrivée â de telles sommes, c’est que Me Tomasini pratique des honoraires élevés : 500 euros TTC de l’heure. Ce qui fait que, pour une seule audience, les victimes doivent envoyer au moins une provision de 4 000 euros. Et, pour Laura, les procédures se sont multipliées, presque une dizaine – ce qui donne la mesure du parcours du combattant pour ces victimes -, entre l’instruction, les assises, les appels, mais aussi les actions lancées par son ex-compagnon pour des aménagements de peine et les procédures concernant le juge aux affaires familiales.
« On ne peut pas quitter facilement un avocat, il y a une forme d’emprise »
Quand Laura s’est lancée dans la bataille, elle n’imaginait pas qu’il y aurait autant de procédures. Elle reproche à Me Tomasini un défaut de transparence, de ne pas l’avoir prévenue de l’ensemble de ce â quoi elle devrait faire face. C’est un engrenage : â chaque procédure, des milliers d’euros à donner pour être défendue. Même les notes d’hôtel et de taxi de l’avocate doivent être payées par Laura – c’est certes l’usage, mais elles atteignent pour deux jours et demi de séjour la somme de 800 euros, qui s’ajoute aux 10 000 euros d’honoraires pour les assises. Laura nous confie : « Je m’étais dit que tout cela était peut-être le prix à payer pour que ma fille et moi restions en vie. »
D’autres anciennes clientes de Me Tomasini témoignent dans le même sens. Alison Blondy raconte son désarroi pour être défendue, lorsqu’elle avait poursuivi son ex-compagnon pour des faits de viol et de violence conjugale. « On n’a pas de pénaliste sous la main. Quand vous tapez sur Google « avocat violence conjugale », vous tombez sur Me Tomasini. » Elle reconnaît avoir été très soutenue par cette dernière au départ, mais très vite, « ce sont des sommes et des sommes qui s’accumulent ».
Même chose pour Alizé Bernard, victime d’un conjoint gendarme condamné pour violences conjugales. Dès le départ, Me Tomasini lui demande 6 000 euros pour le juge aux affaires familiales. À ce moment-là, elle est au chômage, en fin de droits, et son revenu fiscal, que l’avocate ne pouvait ignorer puisqu’elle le lui a transmis, est de 8 800 euros. Précisons que, selon le règlement intérieur de la profession, le niveau de « fortune du client » est censé être pris en compte pour fixer les honoraires.
Me Tomasini pratique-t-elle des honoraires trop élevés ? Contactée par Charlie, elle répond que, si des victimes sont détruites financièrement, ce n’est pas de son fait, mais en raison de la multiplication des procédures intentées par leurs ex-compagnons. « Tout est transparent, annoncé au préalable, je fais signer une convention d’honoraires à mes clientes », assure-t-elle. Elle fait les comptes : « Avec une moyenne de six procédures, si l’on prend 4 000 euros par procédure, on arrive à 24 000 euros, égale 600 euros par mois sur environ trois ans, j’estime que ce sont des honoraires plutôt bas. » Assez révélateur de considérer qu’une somme de 600 euros par mois serait peu d’argent. Pour celles qui sont au Smic, il s’agit de la moitié de leur salaire.
D’autres avocates engagées sur le sujet, toutefois, pratiquent des tarifs moins élevés. C’est le cas de Me Isabelle Steyer, qui, avec trente ans d’expérience, propose 240 euros TTC de l’heure. « C’est une question d’éthique », dit-elle. Une autre, qui travaille aux côtés d’associations féministes, demande aux alentours de 100 euros de l’heure. « Prendre 500 euros de l’heure â des femmes vulnérables, c’est un problème », lâche une autre consœur. Elle ne porte pas Me Tomasini dans son cœur : « Me Tomasini débarque aux assises avec un sac Hermès, â côté de femmes qui ont vendu leur voiture pour payer ses honoraires. » Un certain décalage.
Quid de l’aide juridictionnelle ? Tous les clients n’y sont pas éligibles, et, surtout, certains estiment que cette forme de paiement ne leur permet pas de vivre. « L’aide juridictionnelle, ça revient à être payé 1 centime de l’heure, nous précise Me Marie Grimaud. C’est comme le droit à la CMU. On ne peut pas gagner sa vie en tant que professionnel si on n’a que ça. Mais normalement, dans un cabinet, on mutualise. Si un client peut se le permettre, il en aura pour 50 000 euros et, sinon, on s’adapte et il n’aura à payer que 1 000 euros. C’est aussi le rôle d’un avocat d’aider les clients à trouver les moyens de payer s’il ne peut plus faire face. On se doit de trouver des solutions. On active par exemple la protection juridique comprise dans l’assurance habitation. On doit être irréprochable car on a des gens très vulnérables face â nous. »
Une autre femme, qui veut rester anonyme, nous raconte avoir connu neuf avocates différentes, avec, à chaque fois, des expériences compliquées : aucun geste pour les honoraires (jusqu’à s’entendre dire : « Vous n’avez pas un ami qui peut vous prêter de l’argent ? »), certaines qui s’engageaient avec l’aide juridictionnelle mais demandaient de l’argent en espèces, et d’autres qui ne prenaient pas en compte correctement son dossier.
C’est un véritable mouvement de victimes en colère qui semble se mettre en place. Beaucoup sont très remontées : « Nous sommes des proies pour les avocats » ; « Ils voient arriver de la chair fraîche » ; « On est leur panneau publicitaire lorsque l’on est médiatisé ». L’une d’elles pointe une situation qui lui semble injuste : « Ce n’est pas normal que quand un homme est en garde â vue pour des violences, lui ait le droit d’avoir un avocat commis d’office et gratuit, mais que nous, nous devions payer ».
« Elle a fait foirer mon procès, elle est venue les mains dans les poches »
C’est aussi la question de la spécialité « violences conjugales » qui est posée par les victimes. Plusieurs d’entre elles ont découvert qu’en réalité cette spécialité n’existe pas. « Pourtant, certaines étaient présentées comme cela sur BFM ! » s’étonne une victime.
Certaines consœurs de Tomasini ne se privent pas de rappeler d’ailleurs que cette dernière était, au départ, spécialisée en droit des affaires. Celles qui se disent spécialisées en violences conjugales le deviennent à force de prendre ces dossiers, mais n’ont pas eu de formation spécifique. Des avocates appellent à ce que cela soit mis en place, au regard de la complexité de ces affaires. Le barreau de Paris commence à proposer des formations en ce sens avec la Fondation des femmes.
Laure Daussy. Source (extraits) Charlie hebdo. 22/03/2023
- Tweeter ou mourir, de Laura Rapp (éd. Michalon, 2021).
- Elle m’a sauvée (2022).
Trop d’avocats ne sont pas honnêtes. Les bâtonniers ne font pas grand chose, sinon rien, pour remédier à ce problème