La fin des médecins traders ?

L’intérim est cannibale, car il rémunère injustement le nomadisme professionnel, détruit la cohésion des équipes et enferme dans un cercle vicieux les établissements qui y ont recours (1).

La charge de l’entourage du ministre de la Santé, François Braun, contre les médecins qui effectuent des gardes ponctuelles dans les hôpitaux est lourde. Il faut dire que ces anesthésistes ou urgentistes peuvent gagner plus d’un smic mensuel lors d’une seule garde de vingt-quatre heures.

Le système étant un peu trop rentable pour celles et ceux qui le pratiquent – qui sont tellement demandés qu’ils peuvent, dans certains cas, décider avec qui ils bossent, et même, privilège suprême, choisir leur planning -, il attire de plus en plus de médecins, notamment chez les jeunes. Et donc la facture s’affole pour les hôpitaux. C’est ce qui a conduit Braun à décider de faire entrer en vigueur, dès avril, une loi votée en 2021 prévoyant de limiter la rémunération pour une garde de vingt-quatre heures à 1 170 euros brut.

Une somme que l’on pourrait juger raisonnable, mais estimée bien trop basse par ces délicates personnes habituées à se mettre 9 000 euros dans les popoches en une seule semaine. Nombreux sont en effet les services, notamment ceux situés dans des hôpitaux considérés comme « peu attractifs », à verser 1 300 euros brut par vingt-quatre heures, mais, surtout, à devoir doubler, voire tripler cette somme en cas d’urgence.

La cause de tout cela, c’est la désorganisation de nos hôpitaux. Les véritables solutions sont connues, mais elles ont le grave défaut de n’avoir des effets qu’à long terme. Rappelons d’abord, pardon, que le but n’est pas d’avoir le plus de médecins possible, mais le moins de personnes malades. Le simple fait de mener à bien, enfin, une grande politique de santé publique, qui mette au cœur de nos vies l’exercice physique et une alimentation saine, permettrait déjà de grandement diminuer le nombre de cancers et d’AVC. Mais quel ministre s’opposera à Nestlé et à l’industrie de la bagnole ?

9 000 euros dans les popoches en une semaine

À l’hôpital, la façon la plus simple de dégager du temps pour les équipes médicales serait de supprimer la rémunération à l’acte, qui consomme un temps considérable en remplissage de documents administratifs absurdes. Mais si cette politique a été mise en place, c’est parce que Roselyne Bachelot souhaitait faire des hôpitaux des entreprises comme les autres, au budget équilibré. Qui osera revenir sur cette logique ?

Cela dit, souhaitez-vous vous faire soigner par des personnes vous expliquant qu’elles ne font que « répondre à la demande du marché » et que « ce n’est pas de leur faute » si autant d’établissements les sollicitent ? Moi, non. Donc, pour une fois, je soutiens le gouvernement, François, je suis avec toi ! Devinez quelle a été la spécialité la plus demandée l’an dernier par les étudiants en médecine pour leur internat ? Ce fut… la chirurgie plastique (devant l’ophtalmologie et la dermatologie) (2) . En revanche, la santé publique, la gériatrie ou encore la psychiatrie n’ont pas pourvu tous leurs postes.

Enfin, je rappelle que les cabinets de conseil figurent encore et toujours parmi les secteurs choisis en premier par les diplômés des grandes écoles. Clarisse Magnin, qui dirige McKinsey France, se félicite de recevoir 12 000 candidatures par an (3) . Ah ! le beau monde que toute cette brillante jeunesse, majoritairement issue de milieux favorisés, nous promet !


Jacques Littauer. Charlie hebdo 22/03/2023


  1. « Cette loi de François Braun sur l’intérim qui pourrait faire exploser l’hôpital », par Marc Payet ( Le Point, 12 mars 2023).
  2. « ECN 2022 : les spécialités les plus demandées par les futurs internes en médecine », par Pauline Bluteau (letudiant.fr, 28 septembre 2022).
  3. « McKinsey, BCG, Bain… Les grands cabinets de conseil attirent-ils encore les jeunes diplômés ? », par Richard Flurin ( Le Figaro, 13 mars 2023).

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