Nier la contestation…

C’est nier l’existence du peuple.

L’avis de Samuel Hayat, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po et du CNRS (CEVIPOF).

Depuis mi-janvier, le plus important mouvement social français en trente ans mobilise travailleurs et travailleuses, retraités et étudiants contre la réforme des retraites du gouvernement, qui prévoit de reculer l’âge de départ et d’allonger la durée de cotisation.

Malgré ce rejet massif, dont les sondages estiment qu’il concerne les deux tiers de l’opinion publique, Emmanuel Macron a choisi d’utiliser la légitimité que lui confère son élection pour passer outre, refusant même de recevoir les organisations syndicales.

  • Quel regard portez-vous sur la séquence politique actuelle ?

Le mouvement social contre la réforme des retraites démontre deux choses. D’abord, […] la capacité de protestation populaire au sein de la société française. Ensuite, la potentialité de mobilisation d’institutions que l’on présente pourtant comme étant en perte de vitesse, les syndicats.

En revanche, on voit que malgré cette contestation massive, il est possible pour les gouvernants d’avoir une pratique entièrement verticale et donc autoritaire du pouvoir. Ce n’est évidemment pas nouveau, mais c’est particulièrement flagrant actuellement.

  • Considérez-vous, comme les organisations syndicales mobilisées, que l’absence de réponse du pouvoir constitue « un grave problème démocratique » ?

[…] sur deux points, le gouvernement actuel n’est pas au niveau de ce que l’on est en droit d’attendre de lui :

  1. Il n’a pas convaincu sur la nécessité et l’intérêt de sa réforme
  2. Il a choisi d’ignorer la protestation massive à laquelle il fait face.

[…] C’est, en effet, un grave problème démocratique, car en niant l’existence de cette contestation, le gouvernement nie l’existence même du peuple.

  • Emmanuel Macron jouant sur les mots et les maux

[…] On observe un double déni de démocratie de la part du gouvernement :

  1. Déni de démocratie politique parce que la volonté populaire n’est pas entendue,
  2. Déni de démocratie sociale parce qu’il refuse de rencontrer les représentants des travailleurs, unanimes contre la réforme, et donc de reconnaître leur légitimité.
  • Pourtant, si cette réforme va au bout, elle sera passée en utilisant les moyens légaux et démocratiques qu’offre la Vᵉ République, même si la majorité de la population y est hostile. Cela ne pointe-t-il pas une contradiction inhérente à notre organisation du pouvoir ?

La réelle contradiction se niche dans le fait que les institutions étatiques sont structurellement autoritaires, alors que l’esprit démocratique suppose que les politiques publiques ne sont légitimes que si elles vont dans l’intérêt de la majorité du peuple et qu’elles sont décidées par la majorité du peuple. […] [Grâce à la subtile utilisation d’articles de loi régissant la Vᵉ constitution, le gouvernement] trahit l’esprit démocratique de ces institutions.

  • Qu’incarne ce passage en force ?

En choisissant de décaler l’âge légal de départ à la retraite plutôt que d’augmenter les cotisations patronales ou les impôts des plus aisés, le gouvernement tranche dans le sens de l’intérêt des possédants plutôt que dans celui des travailleurs.

Les bénéfices des entreprises n’ont jamais été aussi peu imposés depuis la Seconde guerre mondiale et les aides aux entreprises n’ont jamais été aussi hautes.

Le but de l’État est d’attirer les capitaux et de leur offrir en France des conditions fiscales optimales au sein du système capitaliste mondial. […]

  • Quels sont les risques ?

Le système démocratique a besoin que les gens s’intéressent aux affaires publiques […] et que malgré cela, le gouvernement fait comme si de rien n’était, cela revient à dire à la population qu’il ne faut pas qu’elle se préoccupe de la politique. […] On ne cesse de demander aux personnes de s’impliquer davantage et lorsqu’ils le font en suivant les règles du jeu, ça n’a pas d’effet. En cela, le risque démocratique est immense. […]

  • Il n’y aura pas selon vous de radicalisation du mouvement…

C’est impossible à dire, […] dès lors, le gouvernement juge qu’il peut ignorer les mobilisations actuelles et n’en a pas peur, pour deux raisons :

  • d’un côté, la force du maintien de l’ordre a été décuplée ces dernières décennies, avec une extension sans précédent de l’arsenal répressif policier et judiciaire.
  • d’un autre, les syndicats semblent avoir perdu un des secrets […] qui leur donnait du pouvoir face à l’État[en promettant] de réguler la contestation, en échange d’une voix dans les négociations.

D’après un article signé Romain Jeanticou. Télérama. Source (extraits)


Une réflexion sur “Nier la contestation…

  1. bernarddominik 18/03/2023 / 22:52

    Oui c’est tout à fait vrai, mais ça ne répond pas à 3 questions fondamentales:
    1 notre système de retraite est il viable s’il ne tient pas compte de l’allongement de la durée de vie et de l’augmentation du ratio retraités/actifs
    2 notre pays peut il être une îlot social dans un monde dirigée uniquement par l’intérêt ?
    3 notre système de retraite était basé sur les cotisations des actifs pour financer les pensions. N’est ce pas risqué de le financer par l’impôt et donc de confondre social et retraite?
    Les français ont la naïveté de croire qu’il suffit de taxer plus les riches car ils confondent richesse et revenu. Mais la force des très riches c’est de pouvoir partir. Notre système fiscal est basé sur des critères qui le rendent peu performant, un exemple: il suffit de résider 6 mois à l’étranger pour ne pas payer d’impôt en France, aux USA tout gain réalisé aux USA est imposable où que vive la personne.

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