L’inconnu à la Transition écologique

Borloo, sors de ce corps !

De son lointain prédécesseur au ministère de la Transition écologique, Christophe Béchu, inconnu du grand public, sauf en Maine-et-Loire, a les cheveux poivre et sel en bataille, l’aisance verbale – tous deux sont avocats – et une capacité très supérieure à la moyenne à embobiner ses interlocuteurs.

Courtois, enveloppant, souriant, Béchu, qui déteste les conflits, est le roi du compromis. On ne va pas se disputer, cher ami, je vous donne raison, mais vous con viendrez volontiers que je n’ai pas tout à fait tort. Ecolo, lui ? Ni pour ni contre, bien au contraire.

La nomination, en juillet 2022, de Béchu à ce poste très exposé a surpris tout le monde, même lui. Son arrivée au ministère, il la doit à la grosse plantade d’Amélie de Montchalin, battue aux législatives dans l’Essonne. Mérite-t-il le surnom de « bétonneur du 49 » que lui ont accolé écolos et Insoumis dans son département ? « Il n’est pas pire que tant d’autres », sourit l’un d’eux.

Béchu, qui s’est rallié à Macron en juin 2017 par une tribune dans « Le Figaro » sobrement intitulée « L’intérêt de la France est plus grand que nos divergences », dans laquelle il assénait : « Pas une voix ne doit manquer à Emmanuel Macron », a auparavant soutenu Juppé, puis Fillon, puis supplié Juppé de revenir avant de repartir vers Fillon, puis de le lâcher. Il quitte Les Républicains dans la foulée mais doit attendre sa récompense cinq longues années. Son opposition radicale au mariage homosexuel, officialisée par une tribune cosignée avec le sénateur Bruno Retailleau dans « Valeurs actuelles », ne lui vaut pas que des amis dans la nouvelle majorité.

Alouette plumée

Béchu a du métier. Il fait partie de ces élus locaux brillants qui ont rapidement accédé aux responsabilités. Conseiller municipal à 21 ans, plus jeune président de conseil général à 29 ans. Il a été sénateur, maire d’Angers, député européen. Ses débuts ministériels calamiteux n’en sont que plus étonnants. A peine nommé, il doit affronter les incendies de forêt et la sécheresse. C’est le moment qu’il choisit pour se mettre aux abonnés absents. « Mais, merde, il est passé où, Béchu ? » s’étrangle-t-on à Matignon.

S’il n’est pas sur le terrain, envahi par un Darmanin trop heureux de s’afficher en premier pompier de France, Béchu prend bien soin de ne pas déplaire au patron et aux chasseurs. Il autorise, dès son arrivée, les formes traditionnelles de chasse à l’alouette dans le Sud-Ouest, en violation de la directive européenne Oiseaux et en sachant parfaitement que le Conseil d’Etat va retoquer son arrêté. Qu’importe, le Président en pince pour les chasseurs, alors Béchu « assume ».

Allain Bougrain-Dubourg, le président de la puissante Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), se souvient de leurs discussions d’alors : « J’ai longuement parlé avec lui de tous ces sujets. Il comprend parfaitement, mais je l’ai senti prisonnier de l’Elysée. » D’autant qu’il hérite d’un portefeuille fragilisé lors du quinquennat précédent, durement frappé par la réduction de ses effectifs, ce qui altère son poids et ses capacités d’expertise et de contrôle. Pris à partie par la députée LFI Anne Stambach-Terrenoir en septembre dernier devant la commission du Développement durable sur la baisse des effectifs, notamment de l’Agence de l’eau, tandis que les sommes versées à des cabinets privés s’envolaient, il ne put qu’acquiescer.

Histoire d’eau

Mais le manque d’eau est son salut, on n’entend plus que lui. Il demande aux préfets de se mobiliser pour anticiper l’inéluctable sécheresse estivale, et lance dans la foulée une petite bombe. Il appelle la France à « sortir du déni » et annonce vouloir préparer le pays à un scénario noir : une hausse moyenne des températures de 4 °C d’ici à 2100, faisant sienne la pire hypothèse du Giec. Les écolos applaudissent. Le grand absent devient soudain l’avant-garde de la cause écolo.

Béchu a-t-il senti le vent du boulet ? « Les rumeurs d’un remaniement avant l’été sont récurrentes, et il arrive que Béchu soit cité parmi les partants », concède un conseiller ministériel. Béchu, enfermé dans ce ministère sans poids qu’il peine à incarner, a-t-il trop donné l’impression, comme le dit un élu de Maine-et-Loire, de « traîner sa peine » ? Le voilà sur le pont, plein d’allant, bien décidé à garder sa place. « Béchu attendait déjà sous Sarkozy un poste de secrétaire d’Etat qu’il n’a pas eu et qui est revenu à Marc Laffineur, l’autre régional de l’étape. Alors, il a les crocs », rigole un autre élu.

Sa proximité avec Edouard Philippe le protège, car il faut bien un ou deux « philippistes » au gouvernement. « Historique ! » lance-t-il, décidément enthousiaste, sur Twitter, après la signature du traité international signé ce week-end sur la protection de la haute mer, dont la ratification n’est pas assurée. L’eau tiède a trouvé son ministre.


Article : Anne-Sophie Mercier. Dessin : Kiro. Le Canard enchaîné. 08/03/2023