… et « partage » d’amour…
Ils sont la version moderne de l’amour « nécessaire » et des amours « contingentes » de Sartre et Beauvoir.
Ce sont les polyamoureux, qui remettent en cause un des tabous de notre société, la monogamie dans le couple – mais, soulignent-ils, ils ne sont pas pour autant infidèles, ils ont leur propre définition de la fidélité.
À deux, c’est parfois compliqué, mais à plusieurs, est-ce pire ?
Sur la terrasse du Café de Paris, dans le quartier de Belleville, une femme tient la main d’un homme et en embrasse un autre. Personne n’est surpris ou ne prête attention à eux. C’est le rendez-vous mensuel des polyamoureux de Paris, dans une grande salle au fond du bar. N’imaginez pas une partouze géante, ce serait méconnaître complètement le phénomène.
Lorsque l’on ouvre la porte, une centaine de personnes attablées, de toutes générations, qui discutent et débattent à tour de rôle, se donnent mutuellement des conseils. Être polyamoureux est une rupture radicale avec la norme du couple, puisque chacun s’autorise à avoir plusieurs relations en même temps, au vu et au su de tous et « dans un cadre éthique ». Alors, tout est sujet à réflexion et à conceptualisation. Une boîte à questions circule. « Combien d’amoureux peut-on avoir avant d’être “polysaturé” ? » (Oui, les polyamoureux sont friands de nouveaux mots.) « Combien de temps passer avec chaque amoureux ? » « La polyamorie fait-elle durer l’amour ? »…
Il y a quelques mois, les participants ont dû changer de café, car celui-ci ne pouvait plus accueillir tout le monde, de plus en plus de curieux ou de convaincus y venaient. […]
- « Les gens sont malheureux dans un couple exclusif, car ils attendent trop de l’autre »
Mais au fait, pourquoi être « poly » ? « Dans toutes les comédies romantiques que l’on voit à la télé, quand il y a une troisième personne, c’est le drame ; pour nous, non ! » expliquent Frédéric et Maeli. Ils sont ensemble depuis douze ans et ont décidé un jour d’« ouvrir » leur couple. Ils continuent d’habiter ensemble, mais chacun a plusieurs « amoureux » et « amoureuses », et pour eux, c’est aussi évident que d’avoir plusieurs amis.
« On ne se poserait jamais la question de savoir si on aime un ami plus qu’un autre. » Maeli a ainsi trois amoureux (dont Pierre) et une amoureuse. Frédéric, de son côté, a deux amoureuses. Pour eux, les couples sont équivalents, ils n’instaurent pas de hiérarchie, quand d’autres polyamoureux distinguent « amour primaire » et « amour secondaire ». Et tout le monde se connaît. Deux des amoureux de Maeli sont d’ailleurs devenus amis. Ils se voient tous les trois régulièrement, mais les seules choses qu’ils font à trois, ce sont… des dîners véganes. Oui, le fantasme du triolisme en prend un coup. « Tout le monde nous demande comment on est devenus amis, s’il n’y a pas de la jalousie, mais c’est le contraire qui serait surprenant : si on aime tous les deux Maeli, pourquoi on ne s’entendrait pas ? », estiment de concert Frédéric et Pierre.
- Mais comment s’organiser pour voir autant de monde ?
Presque une personne par jour de la semaine pour Maeli. Pour cela, ils ont un outil imparable, mais pas très romantique : Google Agenda. D’autant plus nécessaire que chacun des amoureux peut aussi de son côté avoir d’autres relations. Ils ont une case de couleur, et on voit qui est disponible quand. Un peu orwellien, tout de même : chacun sait qui voit qui, et quand. Mais c’est ça, aussi, le polyamour : on ne se cache rien. On se demande quand même si Maeli a des moments de répit, seule avec elle-même : pour ça, elle écrit dans son agenda « marmotte ».
Lucile, de son côté, se limite à deux amoureux. Car elle a aussi trois enfants. « Quand on est une mère de famille, on ne peut pas avoir trop d’amoureux. Objectivement, ce n’est pas vivable. » Depuis plusieurs années, ils ont trouvé un équilibre. « On forme une sorte de triade. » Elle vit avec Thomas, le père de ses enfants, depuis huit ans, à Lille, et tous les dix jours, pendant trois jours, elle vient voir son autre amoureux, Benjamin, qu’elle a rencontré il y a deux ans, sur Paris.
Pourquoi cette vie ? « Je ne veux pas faire reposer toutes mes attentes sur une seule personne, c’est beaucoup de pression, dit-elle. Dans le couple exclusif, une même personne doit te fournir en présence, en tendresse, en sexe, en compréhension… Les gens sont malheureux dans un couple exclusif, car ils attendent trop de l’autre. Chez les polyamoureux, on accepte plus facilement des moments de flottement. »
Pour d’autres, comme Myriam, c’est une manière de ne pas renoncer à découvrir de nouvelles personnes. « J’étais flippée à l’idée de rencontrer quelqu’un et de me dire, ça y est, c’est l’amour de ma vie, je ne pourrai plus jamais rencontrer quelqu’un d’autre. »
- « On a confondu fidélité et exclusivité sexuelle »
Exit, en tout cas, les clichés selon lesquels le polyamour serait le repaire de mâles libidineux à la recherche de drague facile. Dans les couples rencontrés, c’est souvent la femme qui est le moteur de l’ouverture au polyamour. […]
Est-ce que l’on naît polyamoureux ou est-ce qu’on le devient ? Le sujet fait débat chez les « poly ». Pour Françoise Simpère, […] « C’est normal à 20 ans de ne pas savoir ce que l’on veut, ça ne veut pas dire que l’on est polyamoureux. Il y a un effet de mode ! De plus en plus de gens se disent polyamoureux, mais ils n’imaginent pas le travail sur soi, cela implique une réflexion. Il nous a fallu vingt ans pour trouver un bel équilibre avec mon mari dans cette vie de polyamoureux. »
Et la jalousie, dans tout ça ? Ne croyez pas qu’elle est évacuée d’un geste. « On l’apprivoise », dit Françoise Simpère. […]
Polyamoureux, mais pas infidèle. C’est le paradoxe, en apparence. « C’est terrible qu’on ait confondu fidélité et exclusivité sexuelle, souligne Françoise Simpère. La fidélité, c’est être là quand l’autre en a besoin. »
« L’infidélité, c’est ne pas respecter le contrat que l’on a passé avec l’autre », ajoute Justine. Par exemple, s’interdire de sortir avec quelqu’un de l’entourage proche, ou encore établir ce que l’on doit dire à l’autre, à quel moment.
Résultat, les polyamoureux confirmés sont passés maîtres dans l’art de la communication. « On glane tous les outils de communication non violente sur Internet, explique un polyamoureux. Il ne faut jamais laisser un malentendu s’installer. Les non-dits prennent une telle ampleur dans les couples monogames ! Nous, on se parle au quotidien de notre relation, y compris quand ça va bien ».
Laure Daussy. Charlie hebdo Web. Source (extraits)
Assiste-t-on aux dévoiements de la société, une tendance poursuivant les pas de #MeeToo, qui sait… En tout cas une conduite de vie qui reste (pour nous au moins) dans la droite ligne de l’individualisme conduit à son extrême. Le fameux, MOI, JE… Écrasant, méprisant, égoïste. MC