Nous n’y arrivons pas

Au fond du jardin, il y a un kiosque aménagé.

C’est là que nous nous installons quand la cohabitation n’est plus possible, et ce, toujours après une engueulade homérique. Car avec elle, les disputes sont bruyantes, théâtrales. Elle crie, elle hurle même, finalement j’en fais autant, mais elle casse aussi, la première fois cela m’a surpris, à chaque conflit il faut qu’elle brise quelque chose, qu’elle lance contre les murs de la vaisselle ou des objets, des bouteilles, qui éclatent et font gicler leur contenu partout.

Derrière la maison passe un sentier de randonnée qui mène au village, il est souvent emprunté par des promeneurs. Plusieurs fois, j’y ai vu des gens s’arrêter pendant nos altercations, regarder dans notre direction et, manifestement, tendre l’oreille. J’imagine alors ce qu’ils entendent, des voix lointaines atténuées par l’épaisseur des murs qui montent puis redescendent, puis remontent plus fortes encore, parfois lui, parfois elle, et des bruits de bris de verre et de portes qui claquent, puis le calme enfin, le temps de trouver quoi répondre, ou l’argumentation que l’on croit imparable et qui, en fait, jette de l’essence sur des braises.

Et l’on voit alors un homme parfois, une femme d’autres fois, sortir de la maison avec quelques affaires, traverser le jardin et s’enfermer dans un kiosque et tirer les rideaux afin de ne pas être vu. Nous alternons, parfois c’est elle qui s’exile, parfois c’est moi.

J’ai remarqué que c’est souvent celui qui a provoqué la dispute qui part. Comme si la querelle justifiait le besoin de s’éloigner quelque temps. Cela dure un jour, deux, trois, quatre…

Et puis je ou elle revient. Et chaque fois, la même discussion, sur le ton de la raison, de l’inéluctable évidence, voix basse, calme, celle que prennent ceux qui disent l’imparable réel.

  • Ça ne peut plus durer.
  • Oui, tu as raison, ça ne peut plus durer.

Mais ça dure. Immanquablement, nous en revenons au même constat.

  • Nous n’arrivons pas à vivre ensemble.
  • Non, tu as raison, nous n’y arrivons pas.

Mais ça dure. Ça se répète depuis des années. Et puis la vie reprend. Jusqu’à la prochaine crise. C’est devenu une mécanique plus forte que nous, c’est devenu notre histoire. Nous n’arrivons pas à vivre conjointement, pas plus que nous n’arrivons à nous séparer.


David Thomas. Recueil « partout les autres ». Éd. de l’Olivier


Non, ce n’est pas notre histoire, d’ailleurs en juillet 2023 nous fêteront nos 53 ans de vie commune. MC


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