En tentant d’expliquer sa réforme, le gouvernement a multiplié boulettes et contradictions.
Objectif du projet, allongement de l’âge de départ, pension minimale, un flou sans bornes !
Il va falloir ajouter fissa deux noms au « Livre Guinness des records » : ceux d’Elisabeth Borne et d’Olivier Dussopt. Leur communication sur la réforme des retraites a atteint des sommets jamais gravis de maladresse et d’obscurité.
Certes, il y a eu la Nupes, qui a bloqué la discussion via des Himalaya d’amendements. Et Les Républicains, pseudo-alliés du gouvernement, saisis de scrupules alors qu’ils prônaient naguère des solutions encore plus dures.
Mais les deux ministres ont donné l’impression de ne jamais réussir à répondre à leurs critiques – justifiées ou non. A cet amateurisme s’ajoute celui de l’ensemble du gouvernement, qui en a remis dans la cacophonie. Celui-ci, commente le patron d’une importante caisse de retraite, « n’a pas su raconter une belle histoire pour convaincre ». Parce que cette histoire n’était, en fait, pas si belle ?
Résultat : pour une bonne partie de l’opinion, la réforme est entourée d’un halo d’ambiguïtés et de mensonges, alors que, selon les prévisions officielles (« Le Canard », 15/2), elle risque fort de ne pas atteindre son but – équilibrer les retraites en 2030. Ni le beurre ni l’argent du beurre ! Florilège de cet exemplaire catalogue d’anti-communication.
Une réforme pour quoi faire ?
« Pour réduire la dette du pays », affirme Macron le 3 décembre au « Parisien ». « Il veut faire plaisir à Bruxelles et aux marchés financiers », dénoncent le RN et la Nupes. Le 31 décembre, changement de cap : dans ses vœux, le Président précise qu’il s’agit seulement d’ « assurer l’équilibre du système des retraites », rien de plus. Et les mauvais esprits de ressortir une phrase du dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), selon lequel « les dépenses des retraites sont globalement stabilisées et même, à très long terme, diminuent ».
Matignon n’a, alors, pas l’idée de préciser que, d’après le même COR, ce fragile équilibre entraînera « une baisse relative des pensions d’un tiers ». Et préfère trouver une troisième justification à la réforme. « C’est un projet de justice », affirme Borne en présentant le texte, le 17 janvier. Ouvrant illico la boîte des procès en injustice à l’égard des femmes, des seniors, des carrières longues, etc.
Rallonger la sauce
Le 3 décembre 2022, dans son interview au « Parisien », Macron est catégorique : pour assurer la survie de notre système de retraites, il faudra travailler jusqu’à 65 ans. Six semaines plus tard, dans le projet présenté par Borne, c’est 64 ans. Un âge que le chef de l’Etat jugeait pourtant « hypocrite » en 2019, beaucoup de seniors étant déjà hors du monde du travail…
Même pastis frelaté sur la durée de cotisation. Le 15 décembre 2022, Dussopt est droit dans ses bottes : « Nous n’irons pas au-delà de 43 annuités pour obtenir le taux plein. » Mais, moins d’un mois plus tard, Borne présente un projet où les « carrières longues » (les salariés qui ont commencé à travailler entre 14 et 18 ans) arrivent jusqu’à 44 annuités. Avant de baisser le curseur – sous la pression des Républicains. Ce sera, en règle générale, 43 ans . Curieusement, Matignon se prive d’un atout majeur : signaler que cette durée de 43 ans était celle déjà prévue dans la réforme de la socialiste Marisol Touraine, adoptée en 2014. Seule différence, on y arrivera en 2030 au lieu de 2035.
L’accordéon des carrières
Le projet de Borne est à peine connu que fusent, de l’extrême droite à l’extrême gauche, les critiques sur le sort fait aux carrières longues, injustement pénalisées. À l’écoute des amis Républicains, Borne met progressivement de l’eau dans son vin. Les 14-15 ans verront leur sort s’améliorer : ils cotiseront un ou deux ans de moins qu’actuellement et partiront également un ou deux ans plus tôt. Pour les 16, 17, 19 et 20 ans, la réforme ne change rien. Seuls touchés, ceux qui ont commencé à travailler à 18 ans partiront un an plus tard et cotiseront un an de plus.
1 200 euros fondants
Le pompon de la confusion a été remporté par le débat sur la « pension minimum à 1 200 euros pour ceux qui ont cotisé toute leur vie autour du Smic, soit une augmentation de 100 euros par mois », annoncée le 10 janvier par E. Borne. En clair : après la réforme, aucun retraité ne touchera moins de 1 200 euros par mois. À condition d’avoir cotisé pendant une carrière complète au Smic. Mais, pour les nécessités de la communication gouvernementale, cette condition expresse est progressivement oubliée.
Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, donne le ton en annonçant une « pension minimale à 1 200 euros », qui semble catapulter vers le haut le minimum vieillesse ! Jusqu’au ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui l’assure encore mordicus le 6 février.
La polémique explose le 17 février, quand l’économiste Michaël Zemmour – qui avait appelé à voter Mélenchon à la présidentielle – refait les calculs et démonte la communication du gouvernement. Olivier Dussopt, visiblement dépassé, s’emmêle dans les chiffres et zappe un argument « social » : la mesure va améliorer la pension des salariés précaires ayant cotisé toute leur vie et travaillé à temps partiel.
Il avait oublié de relire la déclaration de la Première ministre ?
Hervé Martin. Le Canard enchaîné. 01/03/2023