Addictions

Le mirage du vaccin antidrogue

Pour aider au sevrage, prévenir les rechutes chez les anciens consommateurs et limiter l’installation des dépendances, les chercheurs tentent depuis des décennies de développer des vaccins antidrogues. Une approche préventive ou thérapeutique dont l’efficacité est souvent surestimée, au risque de décevoir les attentes de victimes déjà vulnérables. Sans parler des questions éthiques qu’un tel procédé soulève.

Être dépendant, c’est une maladie qu’on ne peut pas guérir, […] mais on peut être abstinent […] , dépendant passif. » En s’exprimant de la sorte sur le plateau de C à vous, sur France 5, il y a trois ans, Pierre Palmade n’avait ni tout à fait tort ni tout à fait raison. La dépendance est effectivement une maladie particulièrement difficile à guérir, multifactorielle, pour laquelle certaines études montrent une prédisposition génétique.

Cela n’empêche pas les chercheurs en addictologie de tenter de la prévenir grâce à une méthode qui ne conviendra pas aux complotistes, encore moins aux drogués, dont la consommation de substances psychoactives a justement tendance à exacerber la parano : la vaccination.

L’idée n’est pas nouvelle. Les premiers travaux remontent à 1992, lorsque des chercheurs américains évoquent l’intérêt d’un vaccin anticocaïne utilisant le principe d’« immunisation activel ». L’objectif : empêcher une molécule de drogue de remonter dans le cerveau pour s’y fixer et exercer ses effets psychotropes, à l’origine de la dépendance.

Ces molécules sont généralement de petite taille, ce qui leur permet de passer « physiquement » du système vasculaire au liquide céphalo-rachidien sans être reconnues par le système immunitaire. Sur le papier, la solution est assez intuitive : il suffi t de faire grossir les molécules de drogue pour les retenir dans le sang.

La vaccination consiste alors à provoquer la création par l’organisme d’anticorps ciblant spécifiquement la substance ingérée : la nicotine, la méthamphétamine, la phencyclidine ou encore la cocaïne. Au moment où la drogue circule dans le sang, ces anticorps se lient à elles pour former des molécules plus volumineuses, qui seront bloquées par la barrière encéphalique.

En novembre dernier, une équipe de recherche de l’université de Houston, au Texas, annonce avoir développé un vaccin ciblant un opioïde de synthèse qui plonge actuellement les États-Unis dans l’une des pires crises sanitaires de son histoire : le fentanyl. Prescrit de façon quasi criminelle dans les années 2010 par des médecins de famille, fmancièrement encouragés par l’industrie pharmaceutique, cet antidouleur 100 fois plus puissant que la morphine provoque une dépendance inouïe et des overdoses mortelles.

Le taux de décès a bondi ces dernières années outre-Atlantique, passant de moins de 10 000 en 2014 à 72 000 en 2021. L’hécatombe ne cesse de progresser. C’est un Américain foudroyé toutes les cinq minutes et une chute à peine croyable de l’espérance de vie depuis dix ans. 80 % des victimes soignées pour leur dépendance finissent par replonger.

Le vaccin en question entraîne le système immunitaire à réagir de lui-même à l’ingestion de molécules de fentanyl, en créant des anticorps chargés de piéger et d’empêcher la drogue d’atteindre le cerveau. Le consommateur aura donc déboursé une fortune auprès de son dealeur pour ne pas ressentir les effets euphorisants de la substance psychoactive, naturellement éliminée par voie rénale. Les chercheurs ne rapportent aucun effet secondaire indésirable chez les rats immunisés, permettant de débuter les essais cliniques sur des humains dans les prochains mois.

Mieux : les anticorps réagissent spécifiquement au fentanyl, sans interaction croisée avec d’autres opioïdes tels que la morphine. De quoi redonner de l’espoir à de nombreuses familles enlisées dans l’enfer de l’addiction.

Le drogué ne sera-t-il pas tenté d’augmenter ses doses !

Sauf que le tableau est loin d’être aussi idyllique. Qu’il s’agisse de vaccins contre la nicotine ou la cocaïne, les essais cliniques ont toujours démontré leur efficacité à diminuer la pénétration cérébrale des substances toxiques. Cela ne veut pas dire que le nombre d’anticorps produits par l’organisme est suffisant pour neutraliser l’intégralité des molécules de drogues absorbées en une poignée de secondes.

D’après la plateforme Acces de l’Institut français de l’éducation 2, les tests d’un vaccin antinicotine réalisés sur des animaux ont montré une réduction de la quantité de nicotine atteignant le cerveau de 30 à 64 %, alors qu’elle devrait s’élever à 90 % pour que le consommateur n’en ressente plus aucun effet.

Constatant une baisse sans disparition totale du trip euphorique, le drogué ne sera-t-il pas tenté d’augmenter ses doses pour retrouver les sensations qu’il recherche, voire de passer à une autre substance, potentiellement plus forte et ravageuse ?

Par ailleurs, la durée d’efficacité de ces vaccins reste limitée, elle est généralement de quelques mois. Des rappels vaccinaux réguliers sont donc indispensables et nécessitent un fort engagement, une volonté et un suivi des patients pendant plusieurs années. En 2009, des essais réalisés par le Baylor College of Medicine de Houston sur 115 cocaïnomanes ont montré que, après cinq injections du vaccin, seuls 38 % ont développé une concentration d’anticorps suffi sante pour réduire ou cesser la consommation de cocaïne3 . Que dire, enfin, à des parents inquiets qui seraient tentés de vacciner préventivement leurs enfants sans obtenir leur consentement ?

Finalement, cette approche essentiellement biologique de l’addiction revient à promouvoir auprès du grand public, des médias ou des décideurs une solution miracle qui n’existe pas. La plateforme éthique du Groupe Pompidou – un organe intergouvernemental du Conseil de l’Europe chargé de la coopération en matière de lutte contre l’abus et le trafic illicite de stupéfiants et psychotropes –rappelait en 2010, au sujet des vaccins anticocaïne, que « le développement d’une consommation abusive de psychotropes doit se comprendre dans un contexte biologique, psychologique et social. Nonobstant l’intérêt incontestable de la recherche neurophysiologique en la matière, sa seule contribution ne permettra pas d’enrayer le phénomène 3 ».

Treize ans plus tard, force est de constater que nous en sommes toujours au même point. De là à soupçonner l’industrie pharmaceutique, déjà responsable d’avoir rendu les Américains dépendants à ces cochonneries d’opioïdes, de vouloir se faire du pognon sur un remède qui ne fonctionne pas…


Edgar Lalan de. Charlie hebdo. 01/03/2023


  1. «La vaccination anti-addiction : un mythe ? », par J.-M. Scherrmann ( Le Courrier des addictions [8] – no 2 – avril-mai-juin 2006).
  2. « Les vaccins anti-addiction » (site des ressources d’Acces pour enseigner les sciences de la vie et de la Terre, ENS-lyon.fr). 3. «Le « vaccin » anti-addiction, les professionnels et le public » (revue de la littérature parue dans Alcoologie et addictologie 2012 ; 34 [1] : 21-26).

3 réflexions sur “Addictions

  1. Bernard Tritz 07/03/2023 / 11h24

    Bonjour, j’ose vous demander le nom de votre blog au niveau conception publication Etc.
    J’en ai mare du mien, il me faut changer de thème. C’est quoi la marque de votre thème ?
    Merci d’avance.

    • Libres jugements 07/03/2023 / 14h09

      Bonjour Bernard, je réponds à ton questionnement.
      Je souhaitais trouver une mise en page permettant à la fois une lecture claire et en parallèle des éléments d’articles déjà parus.Après de nombreuses et hésitations, j’ai opté pour WordPress et le thème : « plane ».
      Fonts: Titres, Merriwather Bold Normal size – Textes, EB Garamond Grande (+/- corps 12)
      Image tête : plusieurs images tournantes.
      Menu: Documenté selon les rubriques
      Widget : colonne latérale documentée – Rien en pied page

      Voilà. Bon travail.
      Amitiés
      Michel

      • Bernard Tritz 07/03/2023 / 15h27

        J’avais questionné 2 auteurs en même temps. Finalement je me suis débrouillé seul. J’ai créé le premier WP il y a exactement 20 années. J’en ai réalisé une douzaine, seul 1 seul reste en ligne depuis 13 ans.
        Merci d’avoir répondu. Sympa !
        Je dois reconnaître, cela devient difficile. Même au bout d’1 mois.
        Je m’y ferais.
        Bonne fin de journée à toi.

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