Problèmes pour l’industrie !

Approvisionnement en matières premières critiques… l’Europe possède-t-elle une stratégie ?

Le point avec Guillaume Pitron, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste des matières premières critiques.


  • Quelle est la stratégie de l’Union européenne concernant son approvisionnement en matières premières critiques ? En quoi cette stratégie diffère-t-elle de celle de la Chine et des États-Unis ?

Définition de « matières premières critiques.

Les industriels ont établi une liste des matières premières considérées comme « critiques », car sujettes à des risques de pénurie d’approvisionnement compte tenu de la concentration de la production entre les mains de certains pays producteurs, tels que la Chine. […]

Employer le mot « stratégie » fait déjà débat en soi. Certes, Ursula Von der Leyen a, en septembre 2022, déclaré lors d’une allocution au Parlement européen que « le lithium et les terres rares seront bientôt plus importants encore que le pétrole et le gaz ». Thierry Breton, commissaire européen responsable du marché intérieur, prend régulièrement la parole sur le sujet et un Critical Raw Material Act est annoncé pour le mois de mars. Mais de la parole à la mise en œuvre d’une stratégie, il y a un pas…

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L’Unité matières premières, rattachée à la Direction générale « Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME » (GROW) publie de nombreuses études, de même que le Centre commun de recherche, le laboratoire de recherche de l’Union européenne.

L’Unité matières premières  coordonne également un embryon de diplomatie minérale en entretenant un dialogue avec des pays sud-américains, le Japon ou encore le Groenland. Créée en 2020, l’alliance européenne pour les matières premières fédère, quant à elle, les industriels du secteur et identifie des projets d’extraction et de recyclage de terres rares en Europe.

Au demeurant, ceci n’est en rien comparable aux politiques conduites par le Japon et les États-Unis. Le sous-sol japonais est extrêmement pauvre en minerais et Tokyo a compris, il y a une douzaine d’années déjà, la nécessité de dépendre le moins possible des approvisionnements chinois. Les Japonais investissent depuis longtemps dans le recyclage des aimants.

La JOGMEC (Japan Oil, Gas and Metals National Corporation), une institution administrative indépendante, est chargée de la constitution des stocks stratégiques de 34 « métaux rares », selon la terminologie officielle (tungstène, cobalt, terres rares, vanadium…). Et c’est également la JOGMEC qui accorde, depuis 2011 des prêts à Lynas, une entreprise australienne de terres rares, qui en retour, s’engage à fournir une partie de sa production au Japon.

Du côté des États-Unis, le président Trump, du fait de son slogan « America First » a politisé la question des terres rares. Son successeur, Joe Biden, n’agit pas différemment sur le dossier des minerais critiques.

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Les Américains se réveillent tard sur le dossier des terres rares. Et si leur réaction n’est pas encore à la hauteur des besoins et des enjeux, elle est plus affirmée que celle des Européens, qui vivent encore sur Vénus… Il faut dire que les Américains ont parfaitement compris l’enjeu de sécurité nationale que représente la pérennité de tels approvisionnements, puisque les terres rares et l’antimoine (pour ne citer que ces deux ressources) sont notamment indispensables à l’industrialisation des chars, des F-35 et des missiles de haute précision.

  • Les pays de l’Union européenne sont-ils dépendants d’autres puissances en matières premières critiques ? Quels sont les risques liés à cette dépendance ?

L’Europe est dépendante, pour la très grande majorité de ses besoins, de pays non-européens. Cela va du Chili pour le lithium et le cuivre à la République démocratique du Congo pour le cobalt, en passant par l’Afrique du Sud pour les métaux du groupe du platine, la Russie, pour le palladium et bien évidemment la Chine pour des matériaux aussi stratégiques que l’antimoine, les terres rares, le tungstène, le graphite et le silicium métal.

Les risques liés à cette dépendance sont identifiés depuis longtemps : en dépendant des quotas d’exportation chinois, les Européens risquent alors de ne pas pouvoir se procurer ces ressources, ou bien de les acheter à des coûts plus élevés que leurs concurrents établis en Chine.

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La Commission européenne doit présenter en mars un Critical Raw Material Act. Que pourrait changer cette loi ?

Le Critical Raw Material Act a été annoncé le septembre 2022 par Ursula Von der Leyen et son contenu précis sera dévoilé en mars. Le Commissaire Thierry Breton a néanmoins publiquement esquissé les contours de cette législation : identification des ressources les plus stratégiques, soutien aux investissements privés, depuis l’extraction jusqu’au recyclage des métaux en passant par leur transformation, constitution de stocks stratégiques, mise en place de normes d’extraction respectueuses de l’homme et de l’environnement dans les pays producteurs non-européens, de façon à ne pas pénaliser la compétitivité d’une éventuelle production européenne, qui elle-même serait encadrée par un code minier.

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