Jean-Marc Jancovici
Le gourou du climat, polytechnicien pro-nucléaire et pourfendeur des renouvelables, est très lu et très demandé…
- A-t-il lu Dumas, Féval, Rostand ?
- Se voit-il en mousquetaire ?
- Connaît-il la botte de Nevers, cette succession de rapides mouvements d’escrime qui mène à l’estocade fatale, là, juste entre les deux yeux ?
On dirait bien.

Cheveux en bataille, il saute d’un plateau télé à l’autre, d’une matinale à l’autre, son épée brandie, avec son débit rapide, sa gouaille et ses raccourcis qui clouent le bec. Le bec à tous ceux, nombreux, qu’il prend pour des demeurés, des lambins, des idéologues bas de plafond, des nostalgiques de la France d’il y a deux siècles, complexés du chiffre et incapables de faire une règle de trois.
Jean-Marc Jancovici, star des débats sur la transition énergétique, est aussi l’homme qui vend le plus de livres en France : 500 000 exemplaires pour sa BD « Le Monde sans fin » (avec Christophe Blain, Dargaud). Il déboule à l’Elysée en parka et sac à dos, mais style plus militaire que baba. Il n’a pas vraiment fait ses humanités à Notre-Dame-des-Landes. Ce polytechnicien est de la promo d’Elisabeth Borne et de Frédéric Oudéa, ancien patron de la Société générale.
Son think tank, The Shift Project, est financé entre autres par Vinci, Bouygues, L’Oréal, EDF…
Il a commencé dans la production cinématographique, avec un succès mitigé. Jancovici a découvert très tôt les travaux du Giec, au début des années 90. La transition énergétique, la sobriété, la décroissance, il en fera les combats de sa vie.
Vade retro, Carbonas !
Avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), il met au point le bilan carbone, qui permet de mesurer l’énergie consommée pour la fabrication d’un produit donné.
Sa boîte, Carbone 4 (car il faut diviser les émissions de carbone par 4), propose aux entreprises une stratégie pour la décarbonation de leurs activités. Ça cartonne. Les clients se bousculent, les surdiplômés veulent en être. Les jeunes ingénieurs en pincent pour ce type inclassable, avec sa raideur militaire, son incapacité quasi pathologique à être aimable, et son discours révolutionnaire.
« Jancovici intéresse, et même passionne, car il a un profil de technicien, il est du sérail, mais il porte une parole de rupture radicale en expliquant qu’on n’échappera pas à la décroissance. Les quatre allers-retours en avion pour chacun dans toute une vie, et pas un de plus, c’est une façon de prendre les écolos sur leur gauche, qui fait mouche. Le discours de Jancovici aurait moins de poids si EELV n’était pas aussi déboussolé. L’écologie n’a plus vraiment de grand penseur depuis la mort de Bruno Latour », assure Franck Laval, ancien dirigeant parisien des Amis de la Terre et président d’Ecologie sans frontière. Ses affidés sont nombreux, actifs sur les réseaux sociaux, pas loin d’être agressifs quand on ose remettre en question la parole du maître.
Guillaume Erner, présentateur des « Matins de France Culture », qui l’a reçu, l’a décrit en gourou adulé par des milliers de trentenaires urbains. « Janco » a un chiffre pour tout, c’est sa botte de Nevers à lui.
L’ennui, c’est qu’il y a toujours des contradicteurs pour sortir d’autres chiffres. Comment osent-ils ?
Ce nucléariste affirmé doit affronter des experts largement aussi capés que lui, mais moins connus. Le tout-nucléaire ? « Seul un EPR est en fonctionnement normal dans le monde sur les six projets lancés depuis 2000 », rappelle sèchement le consultant Stéphane His, qui conteste par ailleurs les thèses de Jancovici, très critiques sur les énergies renouvelables. « Les scénarios 100 % renouvelables de l’Ademe démontrent la faisabilité d’une économie moderne, qui ne serait alimentée qu’avec ces énergies, et sans retour à la bougie », assène Stéphane His.
Voltampère fouettard
Le physicien Bernard La-ponche, polytechnicien lui aussi, ancien du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), affirme que, sur nombre de sujets, Jancovici dit « n’importe quoi » : « Il assène, il cogne, mais il y a beaucoup de sujets qu’il ne maîtrise pas. J’ai débattu récemment contre lui sur la question des déchets, il n’y connaît rien. » Réponse du général Janco à ses troupes, via les réseaux sociaux : « Il faut arrêter de commenter des posts sans grand intérêt, cela génère pour eux des clics et du trafic non mérité. » Cessons de débattre avec nos opposants, on leur fait une pub qu’ils ne méritent pas.
Jancovici, pote de Hulot et de Lalonde, qui autrefois avait lancé les Entretiens de Combloux pour éduquer des politiques et des journalistes à la chose scientifique, s’est détourné du dialogue. La démocratie est « un système myope, lent, incohérent souvent ». Pas faux, mais on fait quoi ? Un gouvernement d’experts, de techniciens, « un pouvoir très fort ». A la chinoise ? Faut voir, pas le choix. Oups.
Le physicien Yves Marignac, porte-parole de l’Association négaWatt, est le moins virulent de ses détracteurs : « Il est capable de bien plus de nuances que son discours public ne le montre. » Mais, sa garde baissée, Jancovici a bien vite des fourmis dans son épée.
Anne-Sophie Mercier. Le Canard Enchainé. 22/02/2023