Le bio se meurt-il ?

… Faut-il croire ces pleureuses au chevet de la bio ?

Ah ! la douce musique. La bio est mourante. Les grands amis du vivant s’en pourlèchent les babines. Témoin entre mille, le président de la Fédération nationale porcine (FNP) – ceux qui entassent en taule des millions de cochons -, François Valy. Il y a cinq ans, dit-il, les hypermarchés lui « déroulaient le tapis rouge », mais « aujourd’hui ils n’en veulent plus (1) ».

Et il est vrai que la bio souffre. La consommation a baissé de 1,3 % en 2021, et bien que les chiffres définitifs manquent, sans doute autour de 7 % en 2022. C’est beaucoup, mais il faut ajouter que la croissance était, depuis vingt ans, vertigineuse. Plus de 10 % par an, et jusqu’à plus de 20 % : hors restauration, de 4,3 milliards d’euros en 2012 à 12,65 milliards en 2021.

Et ce qu’oublie de dire notre porcher averti, c’est que la consommation générale de produits alimentaires a elle aussi baissé : – 1,2 % en 2021, et même – 4,6 % en 2022. Désolé pour lui, mais la différence avec la bio n’est pas si nette. Laquelle ne connaît évidemment pas un effondrement : la part de marché de la bio dans la consommation générale est passée de 6,57 % en 2020 à… 6,63 % en 2021. La baisse a des allures d’augmentation.

Ces marchands se tapent depuis toujours de la santé des sols

Néanmoins, il se passe quelque chose. La hausse des prix alimentaires – + 12,2 % en décembre 2022 sur un an -contraint certains à moins consommer bio. Le feu n’est pas au lac, mais de nombreux supermarchés de type Biocoop ont dû licencier ou renoncé à remplacer les départs. D’autant que l’avenir immédiat n’incite pas à l’optimisme.

C’est le moment de parler du jeu des « grands » de la distribution, les E.Leclerc, Auchan, Carrefour, Monoprix. Lesquels se sont fait des coucougnettes en or pendant les années d’abondance. Avec 2,4 % du chiffre d’affaires total pour les hypermarchés Auchan en 2020 – mais 6,2 % pour ses supermarchés -, 10,8 % pour Système U, 11 % pour Carrefour, 13,7 % pour Intermarché et même 20, 2 % pour E.Leclerc (2). Colossal.

Bien qu’il n’existe pas d’enquête sérieuse sur le sujet, de nombreuses observations de terrain montrent que ces groupes ont anticipé le repli relatif de la bio. Et, dès que les premiers signes d’inflation sont apparus, ont replié gentiment leurs étals équitables pour les remplacer par des offres de produits les moins chers du marché. Tout en pressurant les producteurs en leur imposant leurs prix. Faut-il le rappeler ? Ces marchands se tapent depuis toujours de la santé des sols, de la biodiversité, et du sort des paysans.

Peut-on lutter contre des monstres pareils ? C’est ce que pense un collectif imposant d’associations, de syndicats, d’entre prises, qui lance un appel dont le titre est une oriflamme : « L’alimentation de tous doit être biologique (3) ». Et de taper à bras raccourcis sur les politiques qui, depuis des décennies, favorisent l’industrie de l’agriculture au détriment de la bio. En 2017, le ministre de l’Agriculture macroniste Stéphane Travert – encore socialo la veille au soir – bloquait les aides européennes à la bio au motif admirable qu’alors en pleine croissance elle n’en avait pas besoin.

Combien de conversions à la bio ont-elles été entravées à cause de ce grand personnage oublié ? C’est que leur Dieu, le marché, doit décider de tout, tant que cela les arrange, du moins. Car il n’est pas vrai que le marché à lui seul explique tout.

Le choix politique conduit « à subventionner des fermes usines, des méga-bassines, des méthaniseurs, à favoriser la concentration des exploitations tout en cherchant des solutions pour redynamiser la vie rurale, à dépenser sans compter de l’argent public pour ramasser des algues vertes sur les rives, pour dépolluer l’eau, pour soigner les personnes rendues malades de manger et produire ce qu’il ne convient plus d’appeler des aliments, en bref, à tenir à bout de bras un modèle dans la triple impasse économique, écologique et sociale (3) ».

Sans surprise, l’appel souligne : « Redisons-le : la « démocratisation de la bio » vantée par la Grande Distribution en ubérisant l’ensemble du monde du travail est une escroquerie (3). »

On ne saurait mieux dire.


Fabrice Nicolino. Charlie hebdo. 22/02/2023


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