L’économie du complotisme

Si autrefois le complotisme se diffusait via d’obscures revues tirées à 100 exemplaires et du bouche-à-oreille de poivrots, aujourd’hui, il est partout : à la télé, à la radio, sur Internet, YouTube, TikTok…


Le complotisme a même ses figures de proue, que l’on peut aisément comparer à des célébrités tant certains sont partout. Et pour acquérir ce statut de grand oracle « éveillé », il leur a fallu à tous se battre pour le nerf de la guerre : l’argent.

Le premier moyen pour en obtenir exige le moins d’efforts possible : il suffit de demander à Google de mettre des publicités sur son site Web. L’entreprise possède en effet une régie publicitaire, nommée « AdSense », et intégrable sur n’importe quel site. En fonction du nombre de visiteurs recensé par mois sur celui-ci, son propriétaire se garantit dès lors un petit billet mensuel.

Ainsi, le site Algérie patriotique, qui entend « mettre à nu les manœuvres du lobby sioniste » et se prévaut de plus de 300 000 visites par mois, toucherait, selon une estimation, près de 8 000 euros par an. Certes, cela ne suffit évidemment pas pour vivre, mais cette somme ne concerne que l’adresse Internet. Car, si le créateur du site complotiste dispose en outre d’une chaîne YouTube, plate-forme où les publicités sont partout, les revenus annuels peuvent aisément doubler.

« Je découvre ma mission de vie » 792 euros le stage

Cette première solution a rempli les portefeuilles de nombreuses personnes jusqu’à l’arrivée du collectif Sleeping Giants. Né aux États-Unis peu après l’élection de Donald Trump, ce groupe de citoyens bénévoles alerte inlassablement sur les réseaux sociaux les annonceurs pour les prévenir qu’ils financent involontairement des discours de haine, selon la méthode désormais connue du « name and shame » (nommer et couvrir de honte).

Ainsi, en 2017, la branche française a réussi à faire que quelque 1 000 annonceurs se retirent du site Boulevard Voltaire, qui, outre sa position d’extrême droite clairement assumée, n’hésite pas à interviewer Alain Soral ou à évoquer en 2013 d’improbables attentats « sous faux drapeau » pour évoquer le coup d’État du général al-Sissi.

Face à la semi-prise de conscience des annonceurs, les nouveaux gourous ont dû se tourner vers une autre solution : le financement participatif. Sur des plateformes extrêmement permissives comme Tipeee, les internautes peuvent effectuer un paiement mensuel du montant de leur choix au bénéfice de leurs sources complotistes préférées. C’est ainsi que le site de France Soir récolte quelque 6 000 euros par mois.

Toujours grâce à Tipeee mais aussi au site Ulule, Pierre Barnérias avait réussi de son côté à amasser plus de 300 000 euros pour financer son « documentaire » Hold-up, un long-métrage bourré de théories farfelues et de fausses informations sur la crise sanitaire liée au Covid.

Si le fondateur d’Ulule, Alexandre Boucherot, s’était mordu les doigts d’avoir autorisé une telle cagnotte, la plateforme Tipeee, elle, n’en a eu rien à faire, puisqu’elle continue à financer le nouveau projet de Barnérias, à savoir la création d’une « agence d’information multimédia ». Il faut croire que la commission de 8 % touchée sur chaque cagnotte a plus d’importance que la mise en danger des spectateurs.

Au financement participatif s’ajoute ensuite un des volets les plus lucratifs : la vente de formations. Ils sont nombreux à exceller dans ce domaine, surtout depuis la crise du Covid, qui leur a offert une tribune inespérée.

Prenons Jean-Jacques Crèvecœur : conférencier belge en développement personnel, il propose sur son site des formations allant jusqu’à 1 386 euros pour apprendre à « construi[re] des relations respectueuses » ou à 792 euros pour le programme « Je découvre ma mission de vie ». Pourquoi pas après tout, si les gens ont de l’argent à perdre…

Mais ce que Jean-Jacques ne dit pas sur son site, c’est qu’il est une figure de la sphère antivax. Pour lui, les vaccins « injectent […] des nanoparticules » dans le sang pour « numériser » notre santé, tandis que la CIA pourrait simuler une invasion extraterrestre pour manipuler les masses ; et bien évidemment, les juifs truqueraient les élections « pour offrir un maximum d’âmes au principe satanique ». On n’ose imaginer ce que contiennent donc ses formations…

Impossible de ne pas citer également Thierry Casas-novas pour ce volet : le gourou crudivoriste, compère de Crèvecœur, et signalé plus de 500 fois à la Miviludes depuis 2016 pour des soupçons d’emprise sur ses fidèles, est un roi dans ce domaine.

Le grand ami de Dieudonné propose ainsi un stage à 1 000 euros la semaine pour se « détoxifier » durant le carême, un autre à 600 euros (sans hébergement !) pour apprendre « les techniques holistiques qui favorisent la santé du cerveau et du corps », ou encore, toujours pour 600 euros sans hébergement, un stage promettant « l’expérience de la force et de la pleine santé ».

Casasnovas ne se satisfait pas seulement de vendre des formations à prix d’or. Sur son site, celui qui considère le sida comme la « supercherie du siècle » a développé un merchandising digne des plus grandes stars : tee-shirts floqués du nom de sa marque, mugs, peignoirs…

Sans compter ses fameux extracteurs de jus qu’il revendait plus de 1 000 euros. Les produits dérivés des figures complotistes ont l’avantage d’être très faciles à produire et permettent en outre à leurs adeptes de se sentir part d’un tout, voire de se reconnaître lors de manifestations ou de rassemblements.

Ces méthodes de financement sont les plus connues et sans nul doute les plus simples pour faire fructifier son porte-monnaie. Bien d’autres existent encore : écrire un livre, lancer des appels à l’aide en hurlant à une « censure de l’ordre mondial », faire payer des vidéos de 5 minutes à prix d’or… Le plus compliqué pour se financer finalement, c’est de trouver le filon complotiste qui vous rapportera le plus.


Lorraine Redaud. Charlie hebdo N° HS  – 3H


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