Est-elle utopiste la proposition qui suit ? En tout cas, elle porte à réflexion ! Et puis « si rien n’est jamais gagné », « rien n’est jamais perdu » si le peuple le veut !
Bernard Friot, économiste et sociologue du travail, est aujourd’hui une figure de la gauche française. Dans son ouvrage majeur, Puissance du salariat (1998, republié dans la collection « Points » du Seuil), il montrait que le salariat représentait une tentative d’échapper à la mainmise du capital.
Il en a construit une proposition de « salaire à vie » comme alternative au capitalisme : un statut général de salaire attaché à la qualification, donc à la personne, permettant de construire un mode de production fondé sur l’autonomie et la responsabilité du producteur, et non plus sur la réalisation marchande de la production.
Cette proposition a reçu, au cours des dix dernières années, un intérêt croissant, notamment à travers l’association Réseau salariat, des militants et de certains intellectuels.
Dans cette pensée, la retraite est un élément clé. D’abord parce que le « salaire à vie » suppose que les retraités soient aussi des travailleurs et participent à la création de valeur. Ensuite parce que le système français de 1946 prévoyait précisément un statut lié à la personne et non à un contrat ou à des cotisations passées : un « salaire continué », selon les termes de Bernard Friot. C’est donc précisément une forme de « déjà-là » du communisme qu’il conviendrait d’élargir.
Au moment où la mobilisation contre la nouvelle réforme des retraites d’Emmanuel Macron se poursuit et entre dans sa phase décisive, Bernard Friot publie, aux éditions La Dispute, un petit livre de 109 pages intitulé Prenons le pouvoir sur nos retraites. Ce texte se construit autour de plusieurs formes : un dialogue fictif avec une jeune femme un peu désabusée et cherchant à donner un sens à son opposition à la réforme, des réflexions plus théoriques et une fable finale pour présenter ce que serait concrètement une retraite libérée non pas du travail mais de la subordination du travail.
Un des aspects les plus intéressants de ce petit livre de 109 pages intitulé « Prenons le pouvoir sur nos retraites » est son regard critique sur plus de 35 ans de luttes et d’échecs contre les différentes réformes des retraites. […]
- Médiapart : Dans votre texte, vous […] critiquez notamment un des points récurrents des syndicats, y compris dans le combat de 2023 : la défense du système par répartition contre l’émergence du système par capitalisation. […]
Bernard Friot : Cette idée de centrer le débat sur la répartition est un piège parce qu’on laisse progressivement s’instituer la répartition capitaliste, alors qu’a été instaurée une répartition communiste dans la mise en place du régime général de la Sécurité sociale par les communistes en 1946. La lutte de classe est donc à l’intérieur de la répartition. […]
Ambroise Croizat [(1901-1951), ministre du travail communiste de 1945 à 1946, fondateur de la Sécurité sociale – ndlr] prend l’initiative en 1946 de transposer le statut de la fonction publique pour les retraites et donc de créer un « salaire continué » pour les retraités. La réponse patronale consiste à dire que la pension n’est pas du salaire mais un différé de cotisations et que les retraités ne sont pas des travailleurs mais d’anciens travailleurs. Son discours principal consiste à dire que la retraite, ce n’est ni travail, ni salaire. Or c’est aussi le discours des opposants aux réformes depuis 1987 : ils pensent que la pension, ce n’est pas du salaire.
La bataille est menée sur cette idée qu’il faut se libérer du travail le plus vite possible. […] C’est partager la vision extrêmement péjorative du travail que la classe dominante entretient.
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[…] beaucoup de militants sont persuadés que les retraités ne sont pas des travailleurs. On est dans la conviction que le travail ne peut être qu’une activité subordonnée au capital. La bataille est donc menée sur cette idée qu’il faut se libérer du travail le plus vite possible. Ce qui me semble tragique dans des organisations de travailleurs, car c’est partager la vision extrêmement péjorative du travail que la classe dominante entretient.
Cette dernière n’est en effet plus capable de nous faire adhérer au travail tel qu’elle l’organise en raison de la double impasse anthropologique et écologique où il mène. Dès lors, elle a tout intérêt à nous faire croire que, par nature, le travail est un mauvais moment à passer, mais qu’en étant soumis à un travail que l’on ne maîtrise pas, on gagne du mérite. C’est là toute l’idéologie de la « valeur travail ». On travaille donc pour ne plus avoir à travailler. Tout cela est idéologiquement tout à fait capitaliste, mais le tragique, c’est lorsque les adversaires de la contre-réforme participent également à cette vision. […]
Romaric Godin. Mediapart. Source (Court extraits)
De nombreux économistes ont séparé l’action productive, le travail, du revenu, faisant du revenu un droit qui ne dépend pas des conditions économiques. Cette vision humaniste suppose qu’on puisse acquérir des biens produits de la même manière, donc sans travail, on voit bien que c’est là où l’état blesse: on distribue de l’argent sans lien productif, donc permettant d’acheter des biens non produits. Ça veut dire qu’on va distribuer de la monnaie de singe, c’est à dire des billets avec une valeur non matérielle. Depuis la nuit des temps aucun animal, et l’homme en est un, ne se nourrit sans devoir « gagner » sa nourriture. Les biens matériels que nous consommons nous devons les produire ou produire un équivalent pour les échanger, l’argent n’est qu’un facilitateur des échanges. Séparer l’argent du travail est utopique et conduit à une monnaie séparée de la réalité donc à terme, quand tous les bijoux de famille auront été vendus, à une monnaie de singe.
Ce que tu exposes là, Bernard, est la société actuelle basée sur l’exploitation des dominés par les dominants.
Or, sauf si je ne comprends pas l’exposé de Bernard Friot,- ce qui est toujours possible – est proposé une autre forme de société… pour lequel on peut ne pas être d’accord, pour lequel il est possible de crier à l’utopie, mais une forme de pensée, un raisonnement qu’il faut entendre, connaître aussi. Amitiés
Michel
J’ai bien compris la proposition de B Friot, mais elle propose une société où le travail n’est plus une nécessité. Concrètement ça veut dire quoi? C’est ce que j’explique dans mon commentaire. Le capitalisme a fait de l’argent un produit de spéculation: ce n’est plus seulement un outil d’échange de biens. B Friot en fait un outil de contrôle de la société, puisqu’il n’est plus associé à une action individuelle volontaire, mais à une volonté politique. A mon sens c’est peut être encore plus dangereux que le capitalisme. D’autant plus que la valeur de cet argent n’est plus liée à une activité productive ni même à une action individuelle.