Pour que l’été soit toujours à venir

Plusieurs personnes m’avaient parlé de cette région comme étant une des plus sauvages de France. Et poissonneuse avec ça. J’avais grandement besoin de me recentrer, de me retrouver seul pendant cinq ou six jours.

Un soir, après le dîner, je m’étais mis à mon ordinateur pour me trouver un gîte, un billet de train et une voiture à louer. En moins de temps qu’il n’en fallut à ma femme pour regarder un épisode de série tout était organisé. Le gîte se trouvait à trois heures de train de Paris et deux bonnes heures de route de la gare la plus proche.

Loin de tout, exactement ce que je cherchais.

Photo MC -Reproduction interdite.

À peine arrivé, j’ai sorti mes cartes IGN et demandé au propriétaire des lieux de m’indiquer les meilleures rivières, les coins où j’étais certain de ne croiser personne et où j’aurais peut-être une chance de sortir quelques truites de l’eau.

— Pour ce qui est de croiser personne, c’est simple, pratiquement partout. Il suffit de s’éloigner d’une cinquantaine de mètres des GR ou des sentiers. Pour le poisson, c’est une autre affaire, les rivières s’assèchent d’année en année et les prises se font de plus en plus rares.

Il m’a conseillé quelques rivières sans grande certitude, m’indiquant toutefois celles où il était inutile que je perde mon temps.

Le lendemain matin je partais en expédition. J’ai arpenté des vallées, des coteaux, des combes, des adrets, des ravines, j’ai roulé pendant des heures, garé la voiture, me suis enfoncé dans des forêts à faire peur tant c’était dense et loin du monde, j’ai remonté des ruisseaux, suivi des rus, des lits de rivières à sec, rien.

Le surlendemain, rebelote parce que je suis pas du genre à me décourager et à renoncer quand j’ai une idée en tête. Je me suis arrêté à chaque pont pour voir ce qu’il y avait en dessous, j’ai descendu des pentes plus raides que des murs de varappe, j’ai traversé des ronciers plus agressifs que des tigres, j’ai manqué dix fois de glisser sur des rochers, mais rien. Et comme ça pendant quatre jours.

Le cinquième jour, l’avant-veille de mon retour, je suis enfin tombé sur ce que je cherchais. Une rivière digne de ce nom, franche, vive, joyeuse, avec des cascades, des trous plus larges que des piscines californiennes, des gravières scintillantes, des rochers alanguis. Vous pouvez me griller les pieds je dirai pas où c’est.

J’ai monté ma canne en riant tellement j’étais heureux et je m’y suis mis. J’ai sorti une, deux, trois, cinq, huit truites ! C’était plus une partie de pêche, c’était un festin babylonien. Je les remettais toutes à l’eau et tentais ma chance un peu plus loin, il ne me fallait pas plus de quatre ou cinq lancers pour en ramener une. Des pas bien grosses mais c’était égal. Je n’avais jamais connu ça.

Ensuite, je me suis déshabillé et j’ai sauté dans une eau à durcir les muscles. Je me suis laissé porter par le courant, douché sous des cascades, enfoncé dans des bassins naturels, j’ai fait la planche en regardant les arbres, j’ai nagé comme Tarzan, j’ai barboté, glouglouté, enfin j’ai fait tout ce qu’on peut faire dans une rivière.

Avant de sortir, j’ai même réfléchi un moment pour voir si je n’avais rien oublié. Après ça, je me suis allongé sur un rocher et j’ai laissé la musique de l’eau qui coule m’emmener jusqu’au soir. Et puis ça m’est tombé dessus brutalement.

Une espèce d’abattement, de tristesse inexplicable avec ce vers d’Henrik Nordbrandt qui tournait dans ma tête comme un mantra : « Je souhaiterais que jamais n’arrive l’été pour que l’été soit toujours à venir. »

Maintenant que j’avais trouvé mon paradis je n’avais plus aucun désir.


David Thomas. Recueil « Partout les autres ». Éd. de l’Olivier


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