L’incroyable bévue…

… du fisc dans la somptueuse succession Claude Berri

Les Impôts ont oublié de réclamer 12 millions dus par les héritiers pour avoir sous-évalué la collection d’art de leur père. Toutes les procédures judiciaires risquent de tomber.

C’est ballot ! Le fisc français a laissé filer la date butoir avant laquelle il pouvait encaisser 12 millions de redressement fiscal… La Direction nationale des vérifications de situations fiscales, chargée de contrôler les personnalités dites « sensibles », avait jusqu’au 31 décembre 2022 pour exiger un versement de la part des deux fils du cinéaste et producteur Claude Berri, décédé il y a quatorze ans.

Chacun d’eux était censé allonger 6,1 millions d’euros réclamés par la Direction nationale des enquêtes fiscales (Dnef), après que cette dernière avait mis son nez dans la succession. « A ma très grande surprise, le fisc ne m’a envoyé aucun courrier pour réclamer le montant du redressement », indique au « Canard » Thomas Langmann, producteur oscarisé de « The Artist » et fils aîné de Claude Berri. « Les négociations à l’amiable se poursuivent », réagit Laurent Merlet, avocat de Darius Langmann. De son côté, la Direction générale des finances est restée muette sur le sujet, n’ayant pas le droit de divulguer des informations sur les contribuables.

Héritage clair-obscur

Non seulement le Trésor public ne pourra plus recouvrer son dû – il n’est peut-être pas à 12,2 millions d’euros près ? -, mais son étonnante étourderie risque aussi de faire tomber toute la procédure pour fraude fiscale qui entache la succession Berri. Sans parler des conséquences sur le contentieux pénal et civil qui, depuis six ans, oppose Thomas Langmann à son demi-frère, Darius, ainsi qu’à l’écrivaine Nathalie Rheims, dernière compagne de Claude Berri.

Petit rembobinage de cette série aux multiples saisons…

Claude Berri, réalisateur de « Tchao Pantin » et producteur de « Bienvenue chez les Ch’tis », meurt le 12 janvier 2009. Après inventaire, le partage de sa fantastique collection d’oeuvres d’art (Picasso, Brancusi, Picabia, Fontana…) évaluée à 64 millions d’euros par le commissaire-priseur, est conclu.

Tout baigne, jusqu’à ce jour de 2015 où Thomas Langmann remarque, chez son demi-frère, une table de Giacometti non répertoriée dans la succession. Persuadé d’avoir été spolié, le producteur porte plainte le 18 novembre 2016 pour « abus de confiance ». Les enquêteurs de la brigade de répression de la délinquance astucieuse sont sidérés : « Au moins 347 oeuvres d’art auraient été détournées de la succession. »

Les experts ami-ami

A l’issue de plusieurs perquisitions aux domiciles de Nathalie Rheims, de Darius Langmann et de sa mère, Sylvie Gautrelet (seconde épouse de Claude Berri), 84 pièces non inscrites dans l’inventaire de succession sont récupérées. C’est là que le fisc entre en scène.

A partir des pièces cotées dans la procédure judiciaire, il évalue à 16,4 millions d’euros la valeur des oeuvres soustraites de la déclaration de succession. Le 24 décembre 2019, les deux fils héritiers se voient donc adresser une rectification, assortie d’une majoration de 40 % pour « manquement délibéré ». Thomas Langmann, qui, pourtant, n’avait pas été mis au parfum de la combine, se retrouve de facto impliqué dans cette sous-déclaration fiscale.

Le 18 janvier 2022, une décision de la cour d’appel de Paris (« Le Canard », 2/2/22) indique que « 434 oeuvres (le chiffre a encore grossi d’un quart !) pouvant avoir appartenu à Claude Langmann (le vrai nom de Claude Berri) au jour de son décès ne figuraient pas dans la succession au moment du partage ».

Ce même 18 janvier, les agents de la Dnef alertent le procureur de la République de Paris, au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale. Ils considèrent que plusieurs protagonistes « pourraient apparaître comme complices, voire auteurs, d’une fraude fiscale ainsi que de blanchiment de fraude fiscale par minoration de l’actif successoral ».

Dans cette bafouille, ils citent les membres de la famille, mais aussi les experts Marc Blondeau (ami du cinéaste défunt, chargé de l’inventaire successoral), François de Ricqlès (à l’époque président de Christie’s France, désigné commissaire-priseur chargé de l’estimation de la collection Berri), ou encore Me Marc Cagniart, le notaire de la succession. Les limiers de la Dnef soupçonnent ces messieurs d’avoir « effectué des manoeuvres qui auraient permis de rendre les travaux de l’évaluation successorale non sincère et ainsi égarer le fisc ».


Odile Benyahia-Kouider et Christophe Labbé. Le Canard enchaîné. 08/02/2023


Laisser un commentaire