Autoderision !

Le livre de ma vie

Aujourd’hui, en rangeant les archives de mon ordinateur, je suis tombé sur le premier livre que j’ai écrit il y a vingt-cinq ans, non publié, que je n’avais envoyé qu’à quatre édi­teurs.

Cet ouvrage raconte les raisons qui m’ont poussé à écrire, à choisir cette voie plutôt qu’une autre, mes débuts timides, ces rencontres déterminantes, ces histoires d’amour qui vous blessent, ce passage du lecteur admiratif à l’autorisation à l’écriture, ce temps d’apprentissage, qui chez moi dura plus de vingt ans.

À sa relecture je l’ai trouvé bien mieux écrit que je ne l’imaginais. Il est certes plein de maladresses et ne peut intéresser que moi (ce qui justifie la non-publication des éditeurs, pourtant encourageants, qui l’ont lu), mais j’en avais un souvenir bien plus mauvais que cela.

Pourtant, si les premiers chapitres furent lus avec enthousiasme, j’ai len­tement éprouvé un étrange sentiment. Au fur et à mesure de sa lecture, je sautais de plus en plus de pages, décrochais parfois au point de devoir reprendre le fil plus haut, passais certains passages.

Arrivé au bout du manuscrit, le constat fut cinglant et troublant. Ce n’était pas tant le livre que je jugeais que ma vie.

Elle m’ennuyait. Et je ne sais pas si c’était dû aux faits ou à la lassitude d’une histoire que je connais par cœur.

Lettre de lectrice

Monsieur,

Veuillez trouver ci-joint une trentaine de textes écrits par mon mari. Cela fait pas loin de quinze ans qu’il en écrit et il doit en posséder au moins cinq cents. Il n’a jamais voulu les faire publier parce qu’il considère les éditeurs comme des charognards qui se repaissent sur les carcasses des écrivains. Il dit que ce sont tous des enculés mais n’en a jamais croisé un. Vous qui en connaissez, confirmez-vous cette opinion ?

En fait, je crois qu’il a essayé de se faire publier avant que l’on se rencontre et qu’il s’est pris un râteau. Moi, j’aime bien ce que vous écrivez, alors je lui ai fait lire quelques-uns de vos livres. Il a dit, ouais, c’est pas terrible, y a deux ou trois trucs pas mal mais pas de quoi s’exciter.

Je lui ai aussi fait lire Jauffret (je pense que vous avez lu ses Microfictions), làil a carrément dit que c’était de la pure merde mais c’est parce que Jauffret passe à la télé et pas lui. Il ne loue que les écrivains morts. Vous, vous êtes encore un peu épargné parce qu’on ne vous a jamais vu sur le petit écran.

Gardez-vous bien d’y aller car vous passeriez alors de « pas mal » à « à chier », c’est sûr. Je serais curieuse de savoir ce que vous pensez de ses textes, dont le style, l’univers sont assez proches du vôtre. Si vous connaissez des revues susceptibles de les publier n’hésitez pas à leur transmettre, je pense que même s’il s’en défendait mon mari en serait flatté.

Bien à vous.

Réponse d’auteur

Madame,

J’ai bien reçu votre courrier du 16 mars accompagné des textes de votre mari. Je les trouve très bons. Vous avez bien fait de me les adresser, figurez-vous que je dois rendre un manuscrit dans une dizaine de jours et que j’étais à court de textes. Mon année a été compliquée et j’ai manqué de temps pour écrire, j’étais donc sur le point de rendre à ma maison d’édition un livre plutôt mince, ce qui me contrariait.

Grâce à vous je vais pouvoir atteindre la centaine de textes et ne pas égratigner l’image d’auteur fiable et sérieux qui est la mienne. Vous trouverez ci-joint un chèque de soixante euros (je l’ai fait à votre nom, n’ayant pas celui de votre mari, mais je vous laisse vous débrouiller ensemble).

Deux euros par texte vous paraissent sans doute peu mais pour un auteur totalement inconnu (et qui en plus va le rester) on est dans une fourchette plutôt haute. Ne me remerciez pas, c’est tout à fait naturel, pour être passé par là je sais ce que vit votre mari et je suis très sensible à la solidarité entre auteurs.

Pour ce qui est de savoir si les éditeurs sont des enculés, je ne serais pas aussi catégorique. Disons qu’il leur arrive de manquer de tact mais il faut bien comprendre qu’ils ont leur part de soucis. Les auteurs en revanche, là, oui, on peut affirmer que certains sont de vrais enculés. Notamment ceux qui ne prennent pas la peine de répondre aux lecteurs (ce qui n’est pas mon cas, comme vous pouvez le constater).

Vous comprendrez que je ne signe pas ce courrier, ne le prenez pas contre vous mais on n’est jamais à l’abri de gens malhonnêtes qui vous assignent devant les tribunaux pour un oui ou pour un non.

Bien cordialement.


David Thomas. Recueil « Partout les autres ». Éd. de l’Olivier


2 réflexions sur “Autoderision !

  1. Sigmund Van Roll 11/02/2023 / 12:33

    Saches Michel, je l’avais déjà constaté par l’ensemble de tous tes écrits sur WordPress.com .
    Tu as des talents bien cachés 😆😆😆

    • Libres jugements 11/02/2023 / 14:26

      Bonjour Sigmund, t’espère en forme. Tu noteras que tu peux toujours me mettre un mot sur l’adresse du blog si tu le souhaites.
      Merci pour ton commentaire… qui me laisse pantois.
      Très franchement, je ne vois aucun talent au fait de sélectionner des extraits de textes écrits par des personnes. Si tu considères que le peu de texte-commentaire que je mets, soit en en-tête, soit en fin d’article, recel quelque chose, c’est plutôt beaucoup de patience pour lire chaque jour une multitude de médias ou avoir recours à plusieurs livres.
      Avec toute mon amitié
      Michel

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