Tenir

Prose-poème qui peut être vous désorientera par le rythme saccadé de son phrasé, pourtant, prenez la peine de lire ce court extrait évocateur. MC

Tenir journal de ses jours combats livrés ou siestes, sable de rivière, noter bruissements agitations en dehors de la maison, inventorier les nuits sans lune, tous les étourdissements, debout.

Tenir en respect monstres épines malgré notre tailles minuscules boiteries, pansements, chaque coin de rue, les jambes en attendant, debout.

Tenir boutique de nos impacts reçus, visage autour des yeux, troupeaux de bouches ouvrant la bouche trous noirs, milliers comme une mémoire levée, debout.

Tenir chapelle de nos secrets, nos embarras à tout bout de champ, armoires en bois et poids massifs à trimbaler courbés, debout.

Tenir tête claire obstinément parmi les trous dans le langage, dans les visages, les maisons — tête claire d’enfant pas disparue – nuages bas parfaits et blancs, une raison peut-être, assez pour demeurer plusieurs, debout

Tenir le calme contre  vulgaires et basses et assassines forces – poursuivre histoires et déploiements vers l’inconnu de toute chose, genoux horizon vertical, le corps en tulipe, debout.

Tenir bien droit le dos, la tête, comme un antidote au désordre envahissant, les plis du corps de la cuisine et du bureau et maintenant le jour se lève, une rose dépasse, bergeronnettes chante, debout.

Tenir bon la plupart du temps après les chagrins des saisons, les fêtes refrains chantés, dansés et notre manque de légèreté parmi les amis, les tablées, les rires, allez tout le monde, debout.

Tenir à plein milieu des mains, trois souvenirs fragiles et épais, cherchant à voir par-dessus bord maladroitement posé debout.

Tenir hiver dix doigts gelés le rebord d’un balcon et mon vertige des étages, circule en boule dans les veines jusqu’au cœur rocher, sauté par un grand lièvre entier, debout

Tenir silence de poissons face aux nouvelles épouvantables avec une tête une qualité vieille poussières : la bonté (court pas les rues parmi les uns couchés, les autres assis, debout).

Tenir ses promesses et parole à tous les grains de sa mémoire, mouton bêlant comme folie des rescapés jusqu’à l’usure des élans troublés, debout.

Tenir du fleuve l’apaisement pour les terreurs des petites filles aux allumettes, tenir du père et de la mer, tenir des arbres les racines avec un geste planté, debout


Albane Gellé. Recueil « Si je suis de ce monde ». Ed. Cheyne (07320 Devesset).


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