Libres jugements

…incarne ce qui se fait de pire en complosphère

Il est le chiffon rouge de toute la complosphère mondiale. Le grand Satan.

Difficile pourtant d’imaginer que ce vieux monsieur de 92 ans, qui a survécu à la fois au nazisme et au communisme, soit encore en âge de faire peur à qui que ce soit…

II n’empêche qu’il est l’un des « mèmes » Internet (photos ou vidéos légendées virales) les plus partagés dans ce monde merveilleux de la conspiration. « Il est devenu un totem pour des communautés idéologiques qui n’ont absolument rien en commun, explique Tristan Mendès France, essayiste et enseignant spécialiste des théories du complot. Comme on parle de « point Godwin », on peut considérer qu’il y a un « point Soros ». C’est-à-dire que tout discours complotiste quel qu’il soit tend invariablement vers George Soros. »

Son parcours a pourtant tout de la success-story.

Né « Schwartz » dans une famille juive hongroise en 1930, il a seulement 13 ans quand l’Allemagne nazie entre à Budapest. Grâce à de faux papiers chrétiens fabriqués par son père, il échappe au pire (son père, Tivadar Soros, en a fait un récit décapant dans Mascarade, aux éditions Fayard). Mais à peine ce premier danger est-il écarté que la Hongrie tombe sous le joug d’un autre totalitarisme, soviétique cette fois. George Soros, 17 ans, s’enfuit en Angleterre, pour étudier à la prestigieuse London School of Economics.

Avant d’émigrer après ses études aux États-Unis afin de faire carrière dans la finance. Son but? Gagner rapidement beaucoup d’argent pour pouvoir se consacrer à l’écriture, à la philosophie et à la philanthropie. Le reste relève de l’american dream. Avec néanmoins quelques accrocs au portrait du héros self-made-man généreux : ainsi en 1992, il réussit « le trade du siècle » en spéculant sur la monnaie anglaise.

Un pari qui lui rapporte en une nuit un milliard de dollars… et qui précipite la chute de la livre sterling et sa sortie du système monétaire européen. Pas très humaniste. Mais tout en amassant sa fortune, il crée l’Open Society Foundations, un réseau de fondations présent aujourd’hui dans plus de 120 pays, et destiné à promouvoir la démocratie et les droits de l’homme à travers le monde (en 2017, il lui léguera 18 milliards de dollars).

« À travers ses différentes facettes, George Soros incarne ce qui se fait de pire pour toute une série de communautés, estime Tristan Mendès France. Juif, élite financière, globaliste qui tend à faire tomber les frontières… Chaque complotiste trouve de quoi nourrir sa haine. »

En Iran ou en Turquie? Soros est l’un de ces puissants sionistes qui veulent dominer le monde. Chez l’extrême droite israélienne (dont Yair, le fils Netanyahou)? Il contribue à anéantir Israël.

Aux États-Unis? Il fait partie de l’« État profond » et de cette élite progressiste pédocriminelle.

À l’extrême gauche? Comme toute la finance internationale hors sol, il n’hésite pas à sacrifier des êtres humains pour maximiser les profits.

Au passage, Soros serait également à l’origine de l’épidémie d’Ebola et aurait contribué à l’implantation de puces dans la population par le biais de la vaccination…

Son pays d’origine, la Hongrie, et son Premier ministre, Viktor Orbân, sont particulièrement actifs en la matière, accu­sant l’homme d’affaires philanthrope de vouloir « submerger l’Europe de migrants ». Avant chaque élection, ils organisent des campagnes d’affichage utilisant la figure du milliardaire. Pourtant, Orbân lui-même a bénéficié d’une bourse de Soros pour aller étudier à Oxford, et son parti, le Fidesz (libéral à l’origine, avant un virage ultraconservateur), a reçu des fonds à ses débuts.

« Toutes ces accusations n’ont aucune logique mais ça n’a pas d’importance pour les complotistes, explique Tristan Mendès France. Et c’est un bon filon. Politique et médiatique. Valeurs actuelles, par exemple, l’utilise régulièrement. Ils savent qu’en mettant Soros en « une », ils vont augmenter largement leur audience.» Et les complotistes préparent déjà sa succession… Son fils Alexander est lui aussi dans leur viseur.

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Ava Roussel. Charlie hebdo. HS N° 3H. Février/mars 2023

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