Un influent complotiste
Il ne paie pas de mine, avec son look de Texan moyen qu’il est, en surpoids, avec un début de calvitie…
À première vue, on l’imagine plus devant un soda XXL dans un fast-food au fm fond des États-Unis, qu’en train d’éructer toutes sortes d’horreurs devant un micro. Et pourtant! Depuis près de dix ans, il est devenu une sorte de gourou pour toute la complosphère.
Et l’un des hommes les plus influents d’Amérique. « C’est le pape des complotistes, estime Thomas Huchon, journaliste et spécialiste des fake news. En septembre 2016, on était quelques-uns à se dire que si tous les conspirationnistes votaient en suivant Alex Jones, Trump serait élu. »
On sait ce qu’il est advenu quelques semaines plus tard… « C’est un véritable précurseur, insiste Thomas Huchon. C’est lui qui a posé les bases et fait tomber un certain nombre de barrières dans ce domaine-là. » faut dire que les convictions d’Alex Jones viennent de loin : de sa lecture, adolescent, du livre None Dare Call it Conspiracy, de Gary Allen, un brûlot antisémite et complotiste. Puis du « siège de Waco » (Texas), où, en 1993, le gouvernement fédéral mit hors d’état de nuire un groupe religieux pratiquant violence, polygamie et atteintes sexuelles sur mineurs, avec à la clé 86 morts, dont 25 enfants.
La preuve, selon lui, d’un État profond foncièrement mauvais. À peine sorti du lycée, il officie à la radio locale, où il déverse d’entrée une litanie de théories toutes plus farfelues les unes que les autres. Plus c’est gros, plus ça passe. Au bout de six ans, il se fait virer en raison de ses excès. Qu’à cela ne tienne, il se met à son propre compte, en créant le site Infowars. Où ce proche de l’extrême droite américaine peut cracher à longueur de journée sa haine et sa vision orwellienne du monde, dans laquelle une élite mondiale veut contrôler à tout prix la planète.
- Les crises financières? Ce sont « EUX».
- Le climat? EUX aussi.
- Le 11 septembre?
- Toujours EUX.
- EUX aussi qui seraient à la tête d’un réseau pédophile mondial.
- Au passage, ILS devraient bientôt empoisonner l’eau et la nourriture, diffuser des virus pour éradiquer une partie de la population et réduire le reste en esclavage.
Cela vous fait sourire?
En tout cas, pour lui, ça a été le jackpot. « Est-il un génie ou a-t-il eu la chance de tomber sur le bon filon au bon moment? Sans doute un peu des deux, estime Thomas Huchon. Ce qui est sûr, c’est qu’il a compris avant tout le monde comment utiliser au mieux Internet et ses algorithmes. Et il a poussé le processus jusqu’au bout. » Parce que, en plus de son site Web, il investit les réseaux sociaux, met sur pied une chaîne YouTube et… une boutique en ligne où il vend des compléments alimentaires censés renforcer la virilité (puisque, évidemment, le gouvernement tente de rendre les hommes homosexuels…), des gilets pare-balles et toutes sortes de produits survivalistes. Soit 40 à 50 millions de dollars de revenus par an, selon Alex Jones lui-même.
Mais le grand maître du complotisme a peut-être franchi la ligne rouge…
Il a osé remettre en cause l’existence même de l’une des plus grandes tueries de masse des USA, celle de l’école de Sandy Hook, dans le Connecticut (2012), qui avait fait 28 victimes, dont 20 enfants. Une simple mise en scène, assure Alex Jones, orchestrée par le gouvernement et les militants anti-armes, et où les parents éplorés ne sont que de simples acteurs.
La transgression de trop?
En tout cas, il a été banni de tous les réseaux sociaux grand public (à l’exception de Twitter) en 2018. Et condamné par la justice à verser 1,5 milliard de dollars de dommages et intérêts aux proches des victimes.
Mais parce que, tel le phénix, Alex Jones renaît toujours de ses cendres, il a réussi à organiser son insolvabilité pour éviter d’honorer sa condamnation. Et reste définitivement le roi du buzz, comme l’a prouvé le dernier en date sur Infowars, où le rappeur Kanye West a déclaré « voir de bonnes choses chez Hitler ».
Ava Roussel. Charlie hebdo. HS N° 3H. Février/mars 2023