Ibrahim Traoré
Le chef de l’Etat putschiste du Burkina Faso a choisi de pousser la France vers la sortie et, comme le Mali, de se rapprocher de la Russie.
Le jour de novembre 1986, François Mitterrand achève un voyage en Afrique par un dîner officiel au palais présidentiel, à Ouagadougou. Le vieux président écoute, impassible, le fougueux Thomas Sankara faire avec esprit le procès de l’apartheid et du colonialisme. Puis, un rien paternaliste, il lui tapote amicalement l’épaule, salue le « tranchant d’une belle jeunesse » et lui conseille avec une douce ironie de se calmer, au nom de son « expérience ». Combien de millions de fois cette vidéo a-t-elle été visionnée par les jeunes élites africaines qui rêvent encore du « Che Guevara africain », abattu l’année d’après, lors du coup d’État de Blaise Compaoré ?
S’il y en a un qui connaît cette séquence par cœur, c’est bien le capitaine Ibrahim Traoré, chef de l’État burkinabé depuis septembre 2022. Même jeunesse (34 ans), même gestuelle que son illustre prédécesseur, même béret rouge, même désir d’émancipation. Il avait promis de se retirer quelques jours après son putsch et de n’expédier que les affaires courantes, mais, cédant vraisemblablement à l’amicale pression de ses amis, le voilà président. Histoire de ne pas perdre de temps, il a signé en personne l’acte confirmant sa nomination.
Ibrahim Traoré a-t-il souhaité marquer à son tour les esprits par une mise en scène volontairement condescendante ? Toujours est-il que c’est par un communiqué laconique du porte-parole de la présidence burkinabé que la France a appris qu’elle avait un mois pour retirer ses troupes du pays.

Erreurs en série
Géologue de formation, Traoré était vu avec réticence par l’armée. « Il n’est pas passé par le fameux prytanée de Kadiogo, il n’est donc pas de la caste. C’est un homme de terrain, tout sauf un militaire d’opérette et il a joué avec habileté des pulsions sankaristes, ce qui lui a donné une assise populaire », résume Vincent Hugeux, spécialiste de l’Afrique et auteur de « Tyrans d’Afrique – Les Mystères du despotisme postcolonial » (Perrin).
Traoré a promis la tenue d’élections en juillet 2024.
Dans ce pays qui poursuit le rêve sankariste, Macron a multiplié les erreurs. « Il y a une forme d’anachronisme historique à maintenir ces opérations extérieures, avec leurs cohortes de véhicules blindés et leurs petits drapeaux français. Les populations ne le supportent plus », affirme Antoine Glaser, coauteur du « Piège africain de Macron » (Fayard).
« Envoyer à Ouagadougou, comme la France l’a fait en janvier, une secrétaire d’État, c’est-à-dire un troisième couteau, a été vécu comme un camouflet. C’est d’autant plus incompréhensible que les crispations s’accumulaient du côté de Traoré : accusations de survols par les avions français sans autorisation ou d’interrogatoires de djihadistes par les officiers français avant même qu’ils aient été déférés aux autorités locales », rappelle Hugeux.
Fallait-il dépêcher une secrétaire d’État à la Francophonie pour discuter des désaccords de fond sur la stratégie, Paris souhaitant viser les têtes et éliminer les chefs djihadistes, tandis que Ouagadougou négocie en secret avec eux ?
« Dans le genre stupide, on fait difficilement mieux », tacle un député de la commission des Affaires étrangères. La France poussée vers la sortie, voilà Wagner qui débarque. Si l’arrivée de cette armée de poètes n’est pas encore avérée, la visite du très russophile Premier ministre burkinabé à Moscou, en décembre, contribue évidemment à l’accréditer.
Evgueni Prigojine, le sympathique patron de Wagner, avait déjà fait savoir à quel point il soutenait le nouveau pouvoir burkinabé en tweetant un théâtral « je salue et soutiens Ibrahim Traoré ». En voilà une belle offre de services.
Une mine d’or, sinon rien
Ils ne sont pas exigeants, les Wagner, ils demandent juste à se payer sur la bête, pas besoin de sortir le carnet de chèques. Dans la foulée du voyage à Moscou de son Premier ministre, Traoré a reçu l’un des patrons de Nordgold, une grosse entreprise minière russe, à laquelle il aurait accordé un permis pour un nouveau gisement aurifère.
Il n’en reste pas moins que près de la moitié du territoire burkinabé n’est plus contrôlée par Ouagadougou, surtout du côté du Mali et du Niger. S’il était irréaliste de prétendre éliminer les djihadistes avec quelques milliers de soldats français, il l’est plus encore de s’appuyer sur Wagner, qui peine à recruter. « Au Mozambique, face aux djihadistes, les Wagner sont partis en courant, et il a fallu faire appel aux Sud-Africains », ironise Hugeux.
Ces jours-ci, le groupe Wagner fait diffuser des vidéos. On y voit de pauvres Africains paumés attaqués par des zombies français et appelant à l’aide. Une pesante condescendance, un mépris appuyé. Thomas Sankara aurait-il apprécié ?
Article d’Anne-Sophie Mercier – Dessin de Kiro. Le Canard enchaîné. 01/02/2023
Merci Ibrahim Traore on va faire des économie et j’espère que dans sa naïveté Macron va cesser de nous faire payer les fins de mois du Burkina Faso. Être seul devant un vrai problème ça grandit.