France, terre d’accueil ?

Quand l’administration française veut livrer les réfugiés aux mollahs

Alors qu’Emmanuel Macron reçoit des opposantes en grande pompe à l’Élysée et salue le courage du peuple iranien, l’accueil réservé en France aux personnes fuyant les mollahs laisse sans voix.

Mesures d’éloignement, placement en rétention, dénonciation aux autorités iraniennes, l’administration déborde d’imagination pour leur souhaiter la bienvenue.

Après avoir fui leur pays d’origine et leur famille, avoir tout laissé derrière eux, subi pour certains ou certaines les maltraitances, voire les tortures de passeurs sans scrupule, on aurait pu espérer qu’ils et elles puissent souffler un peu en arrivant au « pays des droits de l’homme ». En finir avec la peur de la prison ou de la mort. Se poser tranquillement avant de commencer une nouvelle vie. Mais visiblement, l’administration française a d’autres projets pour eux.

C’est le cas d’A., une jeune femme d’une trentaine d’années, arrivée en France en décembre dernier. Participant aux manifestations dans les rues, son père et sa soeur auraient été arrêtés par les policiers iraniens. Elle-même aurait été interpellée et molestée, avant de parvenir à s’enfuir par miracle. Après s’être cachée pendant quelque temps et avoir réussi à réunir plusieurs milliers d’euros, elle aurait ensuite fait appel à des passeurs pour rejoindre, à l’aide de faux papiers, l’Europe puis l’Angleterre, où l’attend son compagnon.

 « L’administration française insiste beaucoup sur le fait que ces personnes sont en infraction parce qu’elles utilisent de faux papiers, explique un militant associatif, spécialiste de la question, qui préfère rester anonyme pour ne pas compromettre les dossiers des étrangers qu’il accompagne. Mais j’aimerais bien qu’on m’explique comment faire pour quitter une dictature qui met sa population sous cloche à tout point de vue, la terrorise et la coupe du monde en supprimant quasiment Internet. Certes, il existe en théorie une procédure de « visa au titre de l’asile » qui pourrait permettre d’être en règle pour rejoindre la France et y demander la protection. Mais pour ça, il faut se rendre à l’ambassade ou au consulat de France sur place. Vous imaginez sincèrement qu’il est possible en ce moment de s’approcher du quartier des ambassades occidentales à Téhéran sans courir un grave danger ? Je rappelle que les jeunes gens arrêtés en Iran aujourd’hui risquent, pour les hommes, la peine de mort par pendaison, et pour les femmes, les viols multiples, au mieux. Donc, oui, ces personnes en danger doivent faire appel à des passeurs, leur donner les économies de toute une famille, s’endetter parfois à vie, subir souvent des choses innommables sur la route de l’exil avant d’arriver en Europe. On devrait les traiter en survivants ; ils sont considérés comme des hors-la-loi. »

Contrôlée à plusieurs reprises sur le territoire français, A. est fmalement arrêtée, le 15 janvier dernier, à l’aéroport de Chambéry, alors qu’elle tentait de rejoindre l’Angleterre. Avec, à la clé, une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Et, en bonus, un placement en centre de rétention. Scandale supplémentaire, la préfecture a « pris attache avec les autorités consulaires iraniennes » en vue de son éloignement. Ce qui, dans le jargon administratif, signifie contacter le consulat d’Iran à Paris, lui transmettre l’identité de la personne en question et demander un « laissez-passer » pour la renvoyer fissa à Téhéran.

Dans cette affaire précise, selon nos informations, la préfecture de Savoie a même transmis au consul d’Iran la fiche Visabio de la jeune femme, avec ses nom et prénom, mais également ceux de ses parents. Quand on sait à quel point le régime des mollahs aime faire pression sur les familles sur place pour faire taire les exilés… « Ce n’est même pas une question d’humanité, insiste Mathilde Bachelet, l’une de ses avocats. C’est une question de légalité ! Que ce soit dans les textes français ou dans les textes européens, il est totalement illégal de renvoyer dans son pays une personne qui dit y avoir des craintes pour sa vie, sans examiner son cas. »

Contactée, la préfecture en question s’est défendue : « Si la personne concernée avait fait une demande d’asile, elle n’aurait pas fait l’objet d’une OQTF. Lors de son interpellation, les services l’avaient encouragée à faire une demande d’asile. En outre, une OQTF ne signifie pas automatiquement une reconduite. Il n’y en a pas vers un certain nombre de pays, dont l’Iran fait partie. Demander un laissez-passer consulaire est le seul moyen de vérifier les déclarations de l’intéressée sur sa nationalité. Il est normal d’effectuer ces contrôles, car on peut avoir des déclarations de citoyenneté iranienne aux fms d’échapper à une reconduite. »

« Évidemment que quand on délivre une OQTF, avec précision d’un pays de renvoi, le but, c’est l’éloignement, il ne faut pas nous raconter n’importe quoi, s’indigne Gérard Sadik, responsable national de la thématique « asile » à la Cimade.

C’est Kafka. Une machine bureaucratique lancée. Il y a sans doute des objectifs fixés. Et surtout, il n’y a aucun discernement. Un étranger sans titre de séjour ? C’est une OQTF. Une OQTF ? C’est un placement en rétention en vue de l’éloignement. Peu importe d’où vous venez et ce que vous craignez. Les préfectures ne savent plus ce qu’est le droit d’asile ou le principe de non-refoulement. Il y a quelque temps, la France a quand même renvoyé une Érythréenne en Érythrée [l’une des pires dictatures au monde, ndlr] et tente régulièrement d’éloigner des Afghans. Si ça se fait vite, si ça passe sous les radars des associations et des médias, ils ne se gênent pas ! »

A. est finalement sortie de rétention quelques jours plus tard, grâce à une décision du juge des libertés et de la détention (JLD). Elle attend maintenant une audience devant le tribunal administratif pour contester son obligation de quitter le territoire. « Elle a tout de suite dit : « Je préfère mourir en France plutôt que de repartir en Iran » , raconte Alexandre Mazéas, son autre avocat. Je vous avoue que je n’en ai pas dormi. On a beau porter la robe et être habitué à traiter des dossiers en la matière… Il suffit de remarquer qu’elle est venue non voilée à l’audience devant le JLD. Rien que cela, ça lui vaudrait la prison et bien plus en Iran. On assiste à une déshumanisation complète de la politique migratoire. On annonce qu’on va régulariser des personnes qui sont nécessaires à notre économie, dans les secteurs en tension. En revanche, on ne vient plus en aide à ceux qui en ont besoin, comme le voudraient nos engagements sur le droit d’asile. »

« On assiste à une déshumanisation complète de la politique migratoire »

A. n’est pas la seule Iranienne à avoir vécu cette mésaventure. Les préfectures de l’Aude ou de Seine-Maritime ont également délivré des OQTF à plusieurs de ses compatriotes. Pour l’instant, la justice tient bon, annulant ces mesures d’éloignement, enjoignant même aux autorités de délivrer des autorisations provisoires de séjour. Mais les méthodes de l’administration ne sont pas très reluisantes.

« Les préfectures ont quand même une tendance étonnante à délivrer des « OQTF sans délai » [une catégorie expéditive de mesure d’éloignement, ndlr] le vendredi après midi, note Vincent Souty, avocat au barreau de Rouen, en charge d’une cliente iranienne. Or on n’a que quarante-huit heures pour contester la mesure. Il faut donc que des personnes qui ne parlent souvent pas français, n’ont pas accès à Internet et n’ont majoritairement aucun soutien trouvent entre le vendredi soir et le dimanche soir un avocat pour déposer un recours en urgence. Ce sont des petits miracles à chaque fois qu’on y arrive. »

On parle donc en « jours ouvrés » pour se faire livrer un canapé, mais pas pour contester une décision qui peut changer le cours d’une vie… Quant à ceux qui décideraient de demander l’asile en France, contrairement à ce qu’on pourrait croire, le chemin est loin d’être facile. À Perpignan, un jeune couple d’Iraniens convertis au christianisme – et donc à ce titre condamnés tous les deux à mort dans leur pays – essaie désespérément d’obtenir l’asile, essuyant un nouveau refus en novembre dernier devant la Cour nationale du droit d’asile. « « Les craintes insuffisamment caractérisées », c’est l’excuse classique, regrette Gérard Sadik. Au début d’un conflit ou d’un mouvement de population, comme avec les Ukrainiens actuellement, on prend bien en compte les craintes et on protège les demandeurs. Et puis, petit à petit, avec le nombre de dossiers à traiter, l’administration ou les juges ont l’impression d’entendre toujours la même chose. Et ils deviennent de plus en plus exigeants. Mais quand on fuit une guerre ou qu’on s’est converti au christianisme en Iran, évidemment qu’on a des histoires et des peurs identiques, on ne va pas inventer des choses. »

Et dire que la loi sur l’immigration annoncée à grand bruit par Gérald Darmanin n’est même pas encore passée…

On en salive d’avance !


Ava Roussel. Charlie Hebdo. 01/02/2023

LIBERTÉ EN TROMPE-L’ŒIL !

Il aura fallu que, du fond de sa cellule de Téhéran, Jafar Panahi, dont les films ont été primés dans les plus grands festivals, annonce qu’il cesse de s’alimenter et de prendre ses médicaments, pour que le régime des mollahs cède à la pression et le relâche. «Comme beaucoup de personnes piégées en Iran, je n’ai d’autre choix que de protester contre ces comportements inhumains avec mon bien le plus cher, c’est-à-dire ma vie», avait-il écrit le 1ᵉʳ février 2023 dans un communiqué transmis à ses avocats et relayé aux yeux du monde sur Instagram. À 62 ans, Jafar Panahi, dont nous aimons tant les films, de Taxi Téhéran à Aucun ours, est affaibli par sept mois de détention dans la terrible prison d’Evin.

Il y était retenu après avoir protesté contre l’incarcération de deux de ses compatriotes réalisateurs, Mohammad Rasoulof et Mostafa Al-Ahmad. Et s’il a regagné une liberté fragile, l’urgence demeure, effroyable. Urgence pour les milliers de prisonniers politiques qui continuent de croupir dans les geôles iraniennes.

Urgence face à une répression qui se fait toujours plus écrasante, depuis le début de la révolte populaire, déclenchée par la mort de la jeune Mahsa Amini, il y a quatre mois. Selon l’ONG Iran Human Rights, au moins 481 personnes – dont 54 enfants – ont été tuées, vingt ont été condamnées à mort, et quatre d’ores et déjà exécutées par pendaison.

Urgence pour la jeunesse d’un pays où un couple d’une vingtaine d’années a été condamné à dix ans de prison rien que pour avoir dansé dans un lieu public. En étouffant d’impuissance, depuis le confort de nos démocraties, il ne nous reste que le devoir de dénoncer, encore et encore. « Avec amour pour l’Iran », comme l’a écrit, dans sa terrible lettre ouverte, Jafar Panahi


Cécile Mury – Télérama N° 3813 – 08/02/2023


4 réflexions sur “France, terre d’accueil ?

  1. bernarddominik 08/02/2023 / 9h11

    C’est tout à fait honteux. Ces personnes venant de pays comme l’Iran ou l’Afghanistan devraient être prioritaires pour l’étude de leur demande d’asile. Mais il faut cependant tenir compte que les groupes terroristes comme EI ou Al Qaida utilisent ce moyen pour introduire des terroristes en France.

    • Libres jugements 10/02/2023 / 15h32

      Bonjour et merci Anne-Marie pour ce commentaire.
      Amitiés
      Michel

Les commentaires sont fermés.