Au naturel !

J’ai un ami qui, il y a trois ans, a décidé de quitter la civilisation, de rompre avec la société de consommation et cette vaine course du rat qui ne mène qu’à de l’insatisfaction.

C’est plus possible de vivre comme ça, on a vraiment des vies de cons, il disait.

Il a vendu son appartement et s’est acheté une petite maison isolée au bout d’un étroit chemin d’une forêt des Vosges, sans eau courante, sans électricité, avec toilettes sèches en extérieur ainsi qu’un mulet pour aller faire ses courses au village et, probablement, avoir un peu de compagnie.

La première année je suis allé le visiter, un court séjour fort dépaysant aussi efficace qu’une retraite en monastère pour se purger et se recentrer. Nous passions nos journées à pêcher, chasser et couper du bois puis de longues soirées à deviser devant l’âtre.

Je n’eus aucune nouvelle durant tout l’hiver et lui rendis de nouveau visite au printemps. La cabane d’aisances était maintenant adossée à la maison.

Oui, je l’ai rapprochée parce que j’en avais marre de devoir m’habiller et de glisser dans la boue ou la neige pour aller chier la nuit. Là, c’est plus commode.

Les réveils restaient frais mais ils étaient compensés par le miracle de voir des bêtes sauvages s’approcher jusqu’à une dizaine de mètres de la maison.

Lors de ma visite estivale, il s’enorgueillit de sa pompe à eau toute neuve installée à quelques mètres seulement de sa porte.

Tout de même plus pratique que d’aller remplir trois seaux d’eau par jour à la rivière.

Et effectivement, pour faire la vaisselle ou se laver (à l’eau froide), fini le rationnement, il suffit de pomper et l’eau jaillit comme par enchantement.

Quelques mois plus tard, en décembre, l’âtre était rem­placé par un poêle à bois d’une redoutable efficacité.

C’est incomparable, ça chauffe dix fois plus et ça consomme moins de bois. J’en ai profité pour faire quelques travaux d’isolation, la maison était une vraie passoire énergétique.

En mars, l’âne s’était trouvé un nouveau propriétaire et il l’avait remplacé par un vélo VTC à onze vitesses.

— Fallait le nourrir, s’en occuper… Et en plus à vélo je suis à vingt minutes aller-retour du village. Avec l’âne je mettais une heure.

À l’été suivant, des canalisations faisaient carrément venir l’eau dans la maison avec une évacuation enterrée d’eaux usées vers la rivière. Un énorme progrès.

  • Le mec qui a inventé le robinet, quand même, on peut dire que c’est une flèche. C’est génial quand on y pense.

En octobre, j’étais venu, comme à chaque fois, avec deux cartons remplis de bougies, en plus des sacs de trente kilos de patates, c’était ma petite contribution à un monde dépollué.

  • Tu peux laisser les cartons dans la bagnole, regarde. Et la lumière fut.
  • Ils m’ont raccordé à l’électricité il y a dix jours. Génial, non ?

Enfin, bref, pendant trois ans, chaque fois que je suis passé le voir, il y avait un truc en plus lié au confort.

Maintenant, il a des radiateurs dans les deux pièces, une baignoire, le câble, une télé de quarante pouces, Internet et un 4×4 Suzuki, « à cause du chemin, il me fallait une traction quatre roues, tu comprends ».

C’est ce que l’on appelle faire un retour aux fondamentaux.


David Thomas. Recueil « Partout les autres ». Éd. de l’Olivier


Une réflexion sur “Au naturel !

  1. bernarddominik 08/02/2023 / 10:58

    Chassez le naturel il revient au galop.
    Mais le 4×4 ce n’est plus du naturel. Il est devenu un bourge de la campagne

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