Désastre naturel ?

Cette ville indienne qui disparaît

Au moment où ces lignes sont écrites, il neige dru sur Joshimath, ville de 23 000 habitants dans l’Himalaya. Il neige sur des centaines, des milliers d’habitants chassés de leurs maisons qui s’affaissent et, inéluctablement, versent dans le néant. Les images sont aussi prodigieuses qu’infernales : une cité disparaît (1) .

Il y a des causes, et elles n’ont rien de naturel. En février 2021, la rivière Dhauliganga – elle se jette en amont de Joshimath dans l’Alaknanda, lui-même affluent du Gange – devient folle, car une partie d’un glacier est tombée d’un coup sec. Et le barrage qu’on appelle justement Dhauliganga cède, emportant des centaines d’humains. Un autre barrage non achevé, celui de Tapovan-Vishnugad, est en ruine. On va donc reconstruire ce dernier, et pour cela, creuser à l’explosif, sous Joshimath, un tunnel de 12 km.

À l’automne 2022, les habitants de Joshi-math voient les fissures devenir de profondes blessures et préviennent les autorités, qui dorment.

C’est alors que la montagne s’affaisse et que les langues se délient. Il n’y a pas que le barrage, car Modi, le Premier ministre indien hindouiste – un fou de Dieu raciste -, a posé la première pierre, en 2016, d’une autoroute de 825 km. Dans l’Himalaya, oui (2) . Lorsqu’elle sera achevée, elle permettra de visiter en 4 x 4 climatisé les quatre sites sacrés dits de Char Dham, hauts lieux de pèlerinage. Selon la tradition, un croyant véritable se doit de les visiter tous au cours de sa vie.

Mais l’autoroute a aussi vocation militaire, plus discrètement évoquée. Elle mène droit à la Chine, pays avec lequel l’Inde a été en guerre en 1962. Et qu’elle affronte régulièrement depuis, au cours d’escarmouches. En attendant, les travaux ont bel et bien sapé les bases de la montagne, dont les roches sont relativement fragiles et leur assemblage souvent instable. Le moindre géologue, le moindre hydrogéologue, le sait depuis toujours : dès 1936, les géologues suisses Arnold Heim et August Gansser – dans un livre (3) – notaient que Joshimath a été bâtie sur un ancien glissement de terrain, rendant le sol définitivement instable.

Un rapport – gouvernemental – de 1976 prévoyait même une catastrophe en cas de lourds travaux, car notait-il, le sol sous Joshimath est fait d’un mélange de sable et de pierres, dépourvu de roche-mère. Il demandait de fortes restrictions sur tous les travaux nécessitant dynamitage, et recommandait une plantation massive d’arbres pour tenir les pentes. Mais Modi est du genre sceptique. Négationniste, pour dire le vrai.

La montagne s’affaisse et les langues se délient

Arrivé au pouvoir en 2014, il s’est fait le défenseur d’un « développement » frénétique de l’Himalaya. Dès 2016, un rapport décomptait 167 barrages hydroélectriques dans l’Himalaya indien, réalisés, en construction ou déjà acceptés. Bien que cela paraisse incroyable, certains d’entre ceux déjà construits étaient dépourvus de ce que nous appelons des études d’impact. Un délire.

Le directeur très réputé du People’s Science Institute, le docteur Ravi Chopra, a donné il y a quelques jours un entretien au journal Down to Earth, créé en 1992 par le grand écologiste Anil Agarwal. Il y décrit avec des mots simples comment un système a ignoré la connaissance scientifique : « Je pense que Joshimath est un grand désastre. Et il n’est pas fini, car il va continuer d’évoluer. Je crois simplement que l’assaut sur l’Himalaya est en cours […] Le gouvernement veut une croissance rapide, et la nature comme les hommes ne comptent pas (4) » De son côté, Nivit Yadav, responsable du Centre for Science and Environment, éditeur de Down to Earth, conclut dans un autre article : « Compte tenu de ce qui se passe à Joshimath, tous les projets de barrages hydroélectriques dans l’Himalaya devraient être stoppés. »

Plus de 50 % des villes et villages de l’Himalaya indien sont en effet construits sur des sols instables. La déforestation y est massive, les éboulements constants, les rivières barrées autant de fois que le décident ceux de Delhi. Et (presque) toute l’eau qui abreuve les plaines surpeuplées de l’aval vient de là.


Fabrice Nicollino. Charlie hebdo. 01/02/2023


  1. vice.com/en/article/m7gy4q/joshimath-himalayan-town-sinking-india-hydropower (en anglais).
  2. tinyurl.com/2p9x3n2z (en anglais).
  3. Central Himalaya. Geological Observations of the Swiss Expedition 1936 (en anglais).
  4. tinyurl.com/ye22fee4 (en anglais).

4 réflexions sur “Désastre naturel ?

  1. Ancre Nomade 07/02/2023 / 19:46

    Merci Michel. Je découvre pour ce lieu, la folie de Modi. En Himalaya en effet rien ne tient et les routes sont régulièrement coupées par les coulées. Pour les habitants des villages reculés, malgré tout, c’est un progrès indéniable. Mais le progrès comme le montre l’article est a double visage.

    • Libres jugements 08/02/2023 / 09:36

      Bonjour et merci Jean-Marc pour ton commentaire
      Bonne journée
      Amitiés
      Michel

  2. bernarddominik 07/02/2023 / 21:32

    Dans un pays dont la démographie est incontrôlable les besoins de la population immédiats, il est difficile de prendre la bonne décision car la pression démographique exige des réponses immédiates. L’inde n’a plus que l’Himalaya pour lui fournir eau et électricité. Dans ces conditions Modi sait qu’il devra sacrifier quelqu’un. Mais c’est ce qui nous attend nous aussi si nous continuons avec cette nécessité de croissance.

    • Libres jugements 08/02/2023 / 09:42

      Bien évidemment, Bernard ne pas tenir compte et du respect de la nature, de ce qu’elle apporte, de l’environnement en général et plus particulièrement de la population civile résidente, qui este – surtout dans ces contrées reculées – une des plus pauvres de la planète, alors qu’un tyran consolide sa prégnance sur l’état.
      Amitiés
      Michel

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