Inflation, récession, dette.

La nouvelle devise de la République

Le 22 janvier dernier, la « une » du JDD titrait : « Inflation : le cri d’alarme des patrons de la grande distribution ».

À l’intérieur, cette curieuse analyse sociologique : « Les Français ont commencé à changer leurs habitudes dans leur chariot. »

On nous y explique que les prix négociés entre, dune part, les méchants vendeurs aux longues dents des industriels et, d’autre part, les acheteurs Bisounours des grandes surfaces sont 20 % plus élevés cette année que l’an passé.

Certes, le prix de l’énergie et des matières premières reflue sur les marchés mondiaux, et même fortement. Mais la montée des prix passée a poussé à la hausse le tarif des transports et de l’emballage, tandis que certaines augmentations de matières premières n’ont pas encore eu le temps de se répercuter tout le long de la chaîne de production.

La chute du niveau de vie va donc encore être forte cette année. Si vous êtes boulanger ou, plus généralement, une entreprise, pas grave, l’État « magie Manu » est là pour vous, et ni les journalistes ni la gauche n’y trouvent rien à redire, de peur de passer pour des ennemis du peuple. Vous avez vu comme nous avons déjà oublié le coût faramineux des aides aux poètes de la baguette ? Si vous êtes un simple être humain, c’est différent. Il se peut que vos allocations chômage aient baissé, ou qu’elles aient cessé de vous être versées. Dans ce cas, vous allez commencer à changer vos habitudes sur le trottoir.

La chute du niveau de vie va encore être forte cette année

Alors, me demanderez-vous, comment le gouvernement peut-il claironner la création de 1 million d’entreprises l’an dernier, une hausse jamais vue des CDI, et une baisse très rapide du chômage ? Eh bien, parce qu’une part de ces « entre prises » créées en un clic va disparaître sans jamais rien avoir vendu. Savez-vous que 38 % des agriculteurs, 35 % des commerçants et 28 % des artisans gagnent moins de la moitié d’un Smic, selon l’Insee (1) ?

A propos du chômage, une partie de l’explication vient des radiations de chômeurs des listes, une vraie flambée. En novembre dernier, 58 000 pauvres hères ont été biffés, un record depuis que cette statistique existe, champagne ! Enfin, côté CDI, les habitudes ont changé : les entreprises qui adoraient faire mijoter leurs salariés de périodes d’essai en multiples CDD, avant de, éventuellement, les passer en CDI, font désormais signer directos des CDI à toute personne qui a la bonté de venir se faire flinguer la santé chez elles.

Mais, surtout, ces indicateurs n’ont plus aucun intérêt. Quand j’étais petit, les chiffres de l’emploi et du chômage étaient scrutés, car ils avaient un sens. Une personne ayant un emploi ne mangeait pas aux Restos du cœur, oui, je sais, c’est impossible à croire aujourd’hui. C’était aussi l’époque où nous nous moquions du faible taux de chômage américain, en expliquant que les allocations y étaient tellement ridicules que les gens privés d’emploi n’avaient aucune raison d’aller se déclarer au job center le plus proche.

Bref, ce que nous n’imaginions pas â l’époque, c’est que nous deviendrions en 2023 un pays de plus en plus semblable aux États-Unis des années 1980, avec des ghettos, des travailleurs pauvres et des services public en ruine. S’il ne fallait qu’un indicateur, la fuite définitive des classes aisées vers l’enseignement privé, jusque-là limitée, en raison du prestige des établissements publics – coucou, le lycée Henri-IV, coucou, le lycée Louis-le-Grand -, dit tout de notre présent, et beaucoup de notre avenir (2). Ce n’est pas que la « société française » aille mal. C’est que cette expression est de plus en plus vide de sens.


Jacques Littauer. Charlie hebdo. 01/02/2023


  1. « Travail : l’indépendance ne protège pas de la pauvreté », par Frantz Durupt et Julien Guillot (Libération, 11 janvier 2022).
  2. « Dans l’enseignement privé, de plus en plus d’élèves très favorisés », par Sylvie Lecherbonnier (Le Monde, 22 septembre 2022).

3 réflexions sur “Inflation, récession, dette.

  1. bernarddominik 04/02/2023 / 19h58

    Le pib augmente et Le niveau de vie baisse. Où passe le pognon? Mais avec un taux d’épargne de 16% il y en a qui tirent leur épingle du jeu. Cette épargne est retirée de l’économie, et du coup les faillites s’enchaînent. A cela s’ajoute un prix de l’électricité irréaliste et grâce à une UE hypocrite qui a fait monter le prix de l’électricité en prétendant qu’elle n’y est pour rien.

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