Osez l’arthrose

La retraite est-elle bonne pour la santé ?

Ce n’est plus un scoop : avoir un métier précaire qui ne rapporte pas un rond réduit l’espérance de vie.

À 62 ans, un quart des plus pauvres sont déjà décédés, contre 5 % des plus riches. Mais pour les chanceux qui survivent jusqu’à l’âge de la retraite, riches et pauvres, hommes et femmes, le basculement vers l’« oisiveté » a-t-il des répercussions sur la santé physique et psychique, les capacités cognitives ou les comportements ?

L’allongement du temps de travail est-il nocif ?

La plupart des études sont formelles : il existe un bénéfice à court terme du passage à la retraite sur l’état de santé perçu (1). Cette amélioration de la santé perçue (fondée sur une déclaration personnelle et nécessairement subjective d’un bien-être général) s’observe aussi bien chez les femmes que chez les hommes, et dans tous les milieux socioprofessionnels.

Des sociologues parlent d’un effet « lune de miel ». Tout à coup, on se sent bien, on a du temps pour faire enfin tout ce qu’on n’avait pas le loisir de faire auparavant. Une sensation de liberté qui peut diminuer rapidement avec le temps, car avec la retraite viennent aussi une modification des revenus, de la couverture santé, des inter actions sociales et l’installation d’une forme de routine.

Au passage à la retraite, certaines études montrent d’ailleurs une baisse des capa cités cognitives – mesurées par des tests de mémoire, de fluidité verbale et de calcul. Plus heureux, mais intellectuellement moins performant, en somme.

Sauf chez les ouvriers et les moins diplômés, qui gagnent sur tous les tableaux en récupérant une certaine souplesse cérébrale une fois le travail arrêté. Plus anecdotique, des recherches soulignent que la retraite conduit à une augmentation du risque d’obésité, principalement pour ceux qui exerçaient un métier physique, et à un accroissement de la pratique d’une activité sportive en moyenne. La retraite augmenterait la consommation de cigarettes, mais diminuerait celle d’alcool.

Plus surprenant, quitter sa vie de labeur coïncide avec une baisse du recours aux actes médicaux. On aurait pu s’attendre à ce que les nouveaux retraités profitent de leur temps libre pour aller voir le médecin. L’une des hypothèses avancées est que les individus ont tendance à profiter des dernières années de leur vie active, durant lesquelles ils bénéficient d’une pleine couverture maladie, pour multiplier les consultations. La diminution des inter actions sociales durant la retraite pourrait aussi jouer sur notre exposition aux différents messages de prévention.

Car, sans forcément s’en apercevoir, on reçoit de nombreux conseils de la part de collègues autour d’un café, nous encourageant à nous faire dépister pour telle ou telle maladie. Sauf en Chine, où les conditions et les horaires de travail sont tellement contraignants qu’on observe une ruée de la population chez le médecin au moment de la retraite. Aux États-Unis, l’effet est totalement inverse, en raison d’une baisse radicale de la couverture médicale.

A lire tous ces indicateurs, on est tenté de se demander si on n’a pas tout intérêt à écourter sa vie active pour vivre une longue retraite heureuse et en bonne santé. La réponse n’est évidemment pas si simple. Étudier correctement l’impact de l’âge de départ à la retraite sur l’état de santé suppose de distinguer les corrélations des relations de cause à effet.

Par exemple, une longue vie professionnelle peut être corrélée à une meilleure santé pendant la retraite, comparée aux carrières courtes, ce qui offrirait au gouvernement toutes les raisons de poursuivre sa réforme qui vise à nous faire bosser plus longtemps.

Mais les individus qui restent en emploi le font-ils parce que le travail préserve la santé, ou justement parce que leur état de santé le leur permet ? Au contraire, un individu parti en retraite anticipée est-il en moins bonne santé en raison de longues journées passées en position assise à jouer au bingo, ou bien a-t-il écourté sa vie active à cause d’une santé déjà dégradée ?

Le piège est d’autant plus dangereux qu’un troisième paramètre – et pas des moindres – entre dans l’équation : les revenus. Avancer ou repousser l’âge de la retraite revient généralement à diminuer ou à augmenter le niveau des pensions pour les carrières ascendantes, ce qui a un impact direct sur les comportements et la santé. Enfin, la plupart des études se sont focalisées sur les carrières masculines, au détriment des parcours féminins, généralement plus hachés et difficiles à analyser.

Pour bien isoler les relations de cause à effet et les différences des catégories de population observées, « nous avons utilisé la réforme de 1993 qui a touché des personnes au profil relativement similaire en termes d’âge et de carrière», explique Clémentine Garrouste, professeure d’économie à l’université de Lille. Peu de changements politiques permettent de mesurer aussi précisément les effets d’un allongement de la vie active.

En France, la réforme des retraites portée par Édouard Balladur a conduit à la fois à une augmentation de la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein, à une modification du nombre des meilleures années de salaire – passées de 10 à 25 -sur lesquelles on se base pour calculer le montant de la pension et à un changement du mode d’indexation des retraites. « Chez les premières cohortes touchées, ceux nés entre 1934 et 1943, nous avons identifié un effet négatif conjoint de l’allongement de l’activité professionnelle et de la baisse des pensions sur la santé perçue chez les personnes qui n’avaient pas le bac (2). »

Aucun effet n’a été constaté chez les bacheliers, qui ne représentaient que 30 % des individus à l’époque. En réalité, les chercheurs observent deux mécanismes qui s’appliquent différemment en fonction de la catégorie socioprofessionnelle : soit la vie active conserve la santé, soit elle l’épuise.

D’après l’hypothèse « use-it-or-lose-it », les capacités physiques et cognitives des individus seraient préservées tant qu’elles sont utilisées. C’est sans doute vrai pour les cadres, beaucoup moins pour ceux qui réalisent des travaux pénibles. Pour ces derniers, c’est plutôt l’hypothèse de la « réserve physiologique » qui s’applique : les individus posséderaient un « stock » de santé dans lequel ils puisent tout au long de leur vie de labeur.

« Cette réforme est beaucoup plus violente que celle de 1993 »

« Ces résultats sont impossibles à transposer au débat actuel sur les retraites, car la tendance s’est totalement inversée aujourd’hui, avec plus de 80 % des jeunes admis au baccalauréat, des métiers, des critères de pénibilité et des trajectoires de carrière très différents », prévient Clémentine Garrouste .

Toujours est-il que, en repoussant l’âge légal de départ à la retraite, la réforme va priver une partie des travailleurs du choix de continuer ou pas de se tuer à la tâche, alors qu’ils ont commencé à travailler tôt. Plus violente que celle de 1993, cette réforme pourrait par ailleurs conduire en arrêt maladie des personnes qui n’étaient pas en mesure de travailler entre 62 et 64 ans.

« Cette réforme est beaucoup plus violente que celle de 1993, conclut Elsa Perdrix. On verra des gens qui n’étaient pas en mesure de travailler entre 62 et 64 ans qui vont potentiellement être en arrêt maladie, ce qui aura un effet de déversement des gains de cotisations vers les dépenses de l’assurance-maladie. »

Si l’allongement du temps de travail augmente les dépenses de santé des actifs, il est difficile d’anticiper quels seront les effets nets de cette réforme. N’est-ce pas ce que l’on appelle une « fausse bonne idée » ?


Edgar Lalande. Charlie hebdo. 25/01/2023


  1. « Is There a Consensus on the Health Consequences of Retirement ? A Literature Review », C. Garrouste et E. Perdrix.
  2. « Collateral Effects of a Pension Reform in France », H. Blake et C. Garrouste (2019).