Dans les affaires de…

Bernard Arnault, luxueux absent d’une affaire de barbouzerie géante

Victime d’un maître chanteur, le multimilliardaire a eu la joie et l’avantage d’obtenir le recours gracieux des services de police. Il n’était au courant de rien…


Envers l’homme le plus riche de la planète, la justice s’est montrée d’une délicatesse exquise : Bernard Arnault ne sera pas jugé en correctionnelle pour les barbouzeries en tout genre commises au nom de son groupe.

Le distingué empereur du luxe évite ainsi une mauvaise pub qui aurait pu gâcher les performances financières de son groupe, LVMH.

Sa capitalisation boursière n’a-t-elle pas dépassé, le 18 janvier, le niveau record de 440 milliards d’euros ? Plus que le PIB du Pakistan.

L’ultrariche (fortune personnelle : 213 milliards) avait déjà évité un procès pour avoir fait espionner le journal « Fakir » et son fondateur-animateur, François Ruffin, devenu depuis député LFI : dans le cadre d’une convention judiciaire d’intérêt public, il lui aura suffi d’allonger 10 petits millions (un arrangement entre les parties, moyennant une amende pour solder les poursuites). Merci, patron !

Petites mains sales

Si le multimilliardaire échappe une nouvelle fois au procès, 11 de ses seconds couteaux, eux, ne vont pas… y couper, soupçonnés d’avoir mobilisé l’appareil policier pour protéger l’innocent pédégé. Révélée par « Le Canard » (2/10/16), l’histoire a donné lieu à une instruction. Plus de quatorze ans après les faits, et au terme d’une enquête de plus de six années, la juge Buresi s’apprête à renvoyer en correctionnelle ces petites mains de LVMH. L’absent de luxe Bernard Arnault a simplement été auditionné comme témoin par la police des polices, le 17 janvier 2019 (échappant à une garde à vue qui aurait pu le priver de lacets de chaussures et de cravate Hermès…)

A l’issue d’une conversation de trois heures entre personnes bien élevées, la démonstration était faite : Arnault n’a rien su, rien vu, rien entendu (il est, en revanche, bien mal entouré).

Le très grand patron reste donc fréquentable pour le couple Macron, qui ne manque certes pas d’occasions de le fréquenter : visites d’Etat, inauguration de la Samaritaine, financement des écoles pour décrocheur de la première dame, etc.

L’affaire des sous-fifres trop zélés, qui a failli éclabousser le grand chef, commence en décembre 2008. La toute nouvelle Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, devenue depuis DGSI) est alors dirigée par Bernard Squarcini, dit « le Squale ».

Sur procès-verbal, l’espion préféré de Sarkozy reconnaît avoir été contacté par le numéro 2 de LVMH, Pierre Godé, aujourd’hui décédé.

Flics clandestins

Ce dernier assure que la multinationale « fait l’objet d’une action de déstabilisation non identifiée, de menaces et de chantage » et qu’il a besoin des services de la DCRI « en toute urgence et de manière confidentielle ».

Sous prétexte de pourchasser un maître chanteur (bien réel) et de « défendre les intérêts économiques de la nation », comme il dit, le Squale met alors ses troupes en ordre de marche. Sans la moindre consigne écrite. Peur de laisser des traces ?

Durant une dizaine de jours, des policiers de la division L3 se relaient 24 heures sur 24 pour traquer, à Paris et à Aix-en-Provence, celui qui menace Arnault. Ils planquent devant les trois cybercafés d’où ont été postées ses exigences sonnantes et trébuchantes.

Un ancien chauffeur du milliardaire, associé à quelques complices, est finalement identifié. Bizarrement, les flics du Squale ne procèdent à aucune interpellation et ne rendent aucun compte rendu écrit.

Les pauvres n’ont pas droit non plus au moindre remboursement de leurs frais de mission. Même pas un petit sac Vuitton en cadeau.

Autre bizarrerie, et non des moindres : aucune plainte n’est déposée, et, malgré ce déploiement hors normes et secret de policiers, l’affaire en reste là.

Squarcini expliquera au magistrat qu’il ne lui « appartenait pas de saisir l’institution judiciaire » et qu’il « ignorai[t] les suites que le groupe avait réservées à ce dossier ». Une chose est sûre, le travail clandestin de ses fonctionnaires aura été payant. En 2012, juste après avoir quitté la police, le Squale monte sa propre boîte et décroche aussitôt un contrat avec LVMH.

Sûrement, là encore, à l’insu de Bernard Arnault… En matière de barbouzerie, le propriétaire du « Parisien » et des « Echos » est toujours le dernier informé.

Le pauvre Bernard !


Didier Hassoux et Christophe Labbe. Le Canard enchaîné. 25/01/2023


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