Comment TotalEnergies explose les compteurs électriques

Pour s’approvisionner en courant, certaines collectivités signent des contrats où le kilowattheure est acheté sur le « marché spot ». Les tarifs y sont astronomiques.

Payer à total son électricité 420 euros le mégawatt-heure alors qu’elle est produite localement pour 60 euros : l’expérience vécue par une petite commune proche d’Alès (Gard), où le groupe vient de signer l’installation d’une centrale solaire, illustre la folie qui s’est emparée du marché de l’électricité européen. Et explique comment les géants de l’énergie font sauter les compteurs.

L’histoire commence en septembre 2022, quand le groupement de communes d’Alès signe avec TotalEnergies la location d’un terrain de 22 ha situé à Saint-Martin-de-Valgalgues pour y installer une ferme de panneaux solaires. La location est conclue pour trente ans et un loyer annuel de 150 000 euros. Moyennant un investissement de 20 millions d’euros, le groupe va y produire 25 000 MWh par an, pour un prix de revient d’environ 60 euros le méga­wattheure.

Un prix multiplié par 7

Deuxième acte : quelques semaines plus tard, la commune sur laquelle va être implantée la centrale solaire doit souscrire un nouveau contrat d’électricité pour 2023, le sien arrivant à échéance à la fin de 2022. Elle consulte alors l’Ugap, la centrale d’achat de l’Etat, son intermédiaire depuis des années. Celle-ci lui fait sa proposition : 420 euros le mégawattheure. Plus du double du tarif moyen constaté sur 2022 (196 euros) et neuf fois plus qu’en 2021 (46 euros) !

Mais la (mauvaise) plaisanterie ne s’arrête pas là : l’Ugap précise à son client que ce prix explosif est ce qu’elle a trouvé de mieux sur le marché. Il résulte de l’appel d’offres qu’elle a lancé et qui a été remporté par… TotalEnergies. En résumé : le groupe français qui produira son électricité à 60 euros le mégawatt-heure la revendra, quelques centaines de mètres plus loin, sept fois plus cher, à 420 euros.

Un prix d’autant plus étonnant que, dans la déclaration faite le 11 octobre 2022 pour obtenir l’agrément de la direction départementale des finances publiques du Gard, Total indiquait que le prix moyen de mise sur le marché de son électricité serait de 71 euros le mégawattheure. Ce qui, déjà, représentait une confortable marge de 18 % sur son prix de revient.

Interrogé par « Le Canard », Total explique que ces prix ne sont pas liés. « Quand nous signons un contrat d’approvisionnement avec un client, précise une porte-parole du groupe, nous sommes obligés de nous « couvrir ». C’est-à-dire d’acheter à l’avance l’électricité qui correspond à la consommation future du client. Et, cet achat, nous le faisons au prix du marché « spot », qui, aujourd’hui, explose. » Et, donc, justifie le tarif de 420 euros demandé à la malheureuse commune. Mais aussi aux boulangers et à d’autres professionnels qui ne bénéficient pas du bouclier tarifaire de l’Etat.

Concrètement, les choses se passent de la manière suivante : une filiale de l’énergéticien, TotalEnergies Flexible Power Solutions, achète au prix prévu (71 euros) la production de TotalEnergies et la revend illico à la bourse de l’électricité Epex au cours « spot » — c’est dire au prix pour une fourniture immédiate d’électricité. Un cours spot qui atteint des niveaux faramineux : après avoir dépassé les 1 000 euros le mégawatt-heure l’été dernier, il se situe encore aujourd’hui autour de 300 euros. C’est donc l’hyperinflation de ce marché spot qui, assure Total, le contraint à pratiquer des prix de dingue.

Le pétrolier en est sûrement navré…

Bénéfices sinueux

Selon ses comptes, la société Total Flex — qui commercialise l’électricité renouvelable produite par sa maison mère, TotalEnergies (lire ci-contre) — réalise 99 % de son chiffre d’affaires… à l’exportation. Total Flex, dont les ventes (200 millions d’euros en 2022) ont été multipliées par 20 en trois ans, négocie son électricité sur la Bourse européenne de l’énergie, basée en France, Epex.

Une transaction y est considérée comme exportation si l’acheteur est étranger. Total Flex est enregistré en France, même si, sur les documents légaux, son directeur est résident britannique, ainsi qu’une bonne partie de ses administrateurs. Qui, hors de nos frontières, achète ainsi la quasi-totalité des électrons de Total Flex, avant que ceux-ci soient massivement revendus en France ? Et dans quel but ?

Interrogé par « Le Canard », le groupe n’a pas répondu.

Sa communication a la limpidité du fioul !


Hervé Martin. Le Canard enchaîné. 11/01/2023


La loi du marché, j’t’en foutrais MC


Une réflexion sur “Comment TotalEnergies explose les compteurs électriques

  1. bernarddominik 16/01/2023 / 12h30

    Et tout ça avec la bénédiction du gouvernement. Honteux.

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