Grave déviance

Préambule : la lectrice, le lecteur de l’article qui suit est prié de ne pas déduire que l’administrateur est un adepte… l’article posté uniquement au titre de l’information. Un point C’est tout. MC

L’amour n’est pas dans le pré

Cet été, toute la France était ébranlée par des affaires de chevaux mutilés, d’ailleurs toujours non élucidées à ce jour. C’est dans ce contexte que s’est tenu, à Bar-le-Duc, dans la Meuse, le procès d’un homme pour zoophilie à l’encontre de juments.

La Meuse est l’un des départements les moins peuplés de France, avec une trentaine d’habitants au kilomètre carré. Il n’y a pas beaucoup d’animation, surtout en période de confinement, mais ce n’est pas non plus une raison pour baiser des chevaux. C’est ce qu’on se dit en traversant la région, avant d’arriver à Bar-le-Duc, petite bourgade dotée d’une pittoresque architecture Renaissance, où la prison est située juste en face du tribunal, de sorte que les condamnés n’ont qu’à traverser la place après la sentence.

C’est ici qu’était jugé, le 8 décembre, un homme que nous appellerons M. par respect pour sa vie privée et ses chances de réhabilitation. Âgé de 64 ans, fluet, voûté, les vêtements élimés, il comparaît libre, accompagné d’une femme dont on apprendra qu’il s’agit de sa tutrice, car l’accusé est sous tutelle renforcée. D’emblée, le président, Éric Gallic, prend une voix de maître d’école pour s’adresser à lui.

Rappel des faits. M. est dans le box pour s’être masturbé, en mai, dans un pré à proximité d’une jument, ce qui constitue une exhibition sexuelle (on y reviendra), et pour, en septembre, avoir enfoncé son bras dans le vagin d’une jument (mais pas la même qu’en mai), ce qui constitue un acte de cruauté, l’équidé ayant souffert de lésions génitales (hématomes, écoulement purulent…).

Le zoophile a été surpris par des personnes qui étaient venues s’occuper des chevaux, ce qui a entraîné sa fuite. Des recherches actives (notamment à l’aide de la vidéosurveillance) ont permis aux gendarmes d’identifier son véhicule, puis de lui mettre la main dessus quelques semaines plus tard. « On n’aurait certainement pas déployé autant de moyens s’il n’y avait pas eu les affaires de mutilations de chevaux », estime Me Théo Hel, l’avocat de M., lequel a vite reconnu les faits en garde à vue.

L’audience se poursuit par la lecture de l’examen psychiatrique. On s’attend à du lourd, on ne va pas être déçu. Le juge commence par préciser que M. dispose d’un « langage pauvre et [a] des difficultés d’élocution et de compréhension », mais qu’il reste pénalement responsable. Dès son plus jeune âge, il est régulièrement frappé par sa mère, ce qui lui vaudra une chute de 3 m, et la perte d’un œil, car « les punitions se faisaient au tisonnier ».

À l’âge de 18 mois, M. est confié à une institution catholique (le couple parental aura neuf enfants, tous placés). À 16 ans, il intègre une ferme. Il effectue ensuite divers boulots, pour terminer comme agent d’entretien d’espaces verts, avant son départ à la retraite, il y a deux ans. Le rapport psychiatrique fait état d’une liste impressionnante de symptômes : carences affectives précoces, autodépréciation, isolement social, déficience intellectuelle légère (M. écrit phonétiquement et n’est pas capable d’effectuer des soustractions)…

Mais revenons à nos juments. L’expertise nous apprend que la zoophilie équestre de M. a commencé dès l’âge de 25 ans. On peut dire qu’il s’agit d’une véritable orientation sexuelle, et non d’un palliatif de l’absence de partenaire féminine. En effet, M. a eu une compagne (décédée il y a deux ans), avec qui il a vécu durant deux décennies.

Sauf qu’au bout d’un an de vie commune il a cessé d’avoir des relations sexuelles avec elle. Car sa libido, M. la dédiait exclusivement aux juments (jamais de chevaux mâles). Il réfute cependant toute pénétration avec son pénis. Et le psychiatre de conclure que M. est attiré par des objets sexuels qu’il estime « moins importants que lui ».

Après cette lecture éprouvante s’ensuit un laborieux dialogue entre Éric Gallic et l’accusé.

  • Le juge : « Va falloir se soigner, monsieur. »
  • L’accusé : « Dans ma jeunesse, j’ai travaillé avec des animaux, sans leur faire de mal. »
  • Le juge : « Vous dites que vous ne vouliez pas leur faire de mal, mais ça leur fait du mal quand même. »
  • L’accusé : « C’est dans mon cerveau… C’est vrai que je me suis fait avoir cette fois. »

De fait, il est étonnant que M. ait pu se livrer à ses loisirs animaliers durant quarante ans sans se faire choper. Preuve supplémentaire que la Meuse n’est décidément pas très peuplée.

Sur le terrain du droit, il faut tout de même préciser certaines choses. Se masturber à côté d’un animal n’est pas répréhensible en soi. Vous pouvez continuer de vous branler à côté de votre caniche sur le canapé du salon. Le problème serait de le faire dans un lieu accessible aux regards d’autrui. En l’espèce, M. a été vu par le propriétaire du pré, d’où le délit d’exhibition sexuelle. Ce n’est pas le côté jument qui joue là-dedans, mais le fait d’être vu (il en va de même si vous faites l’amour en forêt, et que vous êtes surpris par des randonneurs, sachez-le).

Pour le bras dans le vagin, c’est différent. Là, cela tombe sous le coup de l’article 521–1 du Code pénal, qui punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait « d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle » à l’encontre d’un animal. Ici, la victime a été blessée, mais même si ça n’avait pas été le cas, le fait est punissable en tant qu’acte sexuel.

Par exemple, il est autorisé de caresser un cheval sur la tempe, mais pas sur les testicules, quand bien même l’animal ne semblerait pas en souffrir. Il faut bien admettre qu’il s’agit là d’une condamnation purement morale, la zoophilie n’étant pas reconnue comme orientation sexuelle. Certains brandissent le non-consentement de l’animal, mais l’argument est sacrément hypocrite, vu qu’on se tamponne bien de son consentement quand il s’agit de l’attacher à longueur de journée ou de le conduire à l’abattoir.

Vient ensuite la réquisition du procureur, Sofian Saboulard. Il est formel : il n’y a aucun lien entre M. et les récentes affaires de chevaux mutilés dans l’Hexagone. C’est vrai qu’on aurait du mal à imaginer le pitoyable M. parcourant la France pour découper des vulves de jument.

Mais le magistrat s’inquiète de la santé d’un autre animal : le chien de M. Un petit chien, dit-on. Le procureur demande le retrait du cabot, tout en s’excusant presque : « Je suis conscient que lui interdire cet animal serait renforcer son isolement, mais l’autoriser à posséder un animal, c’est prendre un risque. »

« Depuis des décennies, il est seul face à sa honte »

Ce chien sera d’ailleurs le seul point de divergence entre le procureur et l’avocat de la défense. Me Théo Hel commence par redessiner le parcours meurtri de son client : « Ce n’est pas un monstre, c’est quelqu’un en grande souffrance, et ce qui serait monstrueux, c’est de ne pas l’aider. Depuis des décennies, il est seul face à sa honte, et sans les capacités intellectuelles pour entreprendre des démarches. »

Une touchante plaidoirie, nourrie d’une sincère empathie, et dont le climax sera la garde du chien : « L’interdiction de détenir un animal de compagnie est trop large : il ne pourrait même plus avoir un poisson rouge. Son chien, c’est tout ce qu’il a, et il se rend tous les jours avec lui au cimetière pour parler à sa femme. »

Pour prouver qu’il ne fait prendre aucun risque au clébard concerné, l’avocat détaille les recherches Internet relevées par les gendarmes dans l’ordinateur de M. (car une légère déficience mentale n’empêche pas d’explorer les sites pornos) : « Baise chevaux », « Éjaculation faciale chevaux »… Voilà donc la preuve que les pulsions zoophiles de l’accusé concernent exclusivement les équidés. « Si vous lui enlevez son chien, cela l’isolerait davantage, et les soins seront moins efficaces. »

Les derniers mots reviendront à M., bredouillés dans un murmure, à l’image de son recroquevillement durant toute l’audience : « Je m’excuse devant le tribunal. » Il sera finalement condamné à douze mois de prison avec sursis, à la condition de suivre des soins et de ne pas paraître aux abords de lieux où il y aurait des équidés. Mais surtout, victoire pour la défense, M. garde son chien ! On est soulagé, autant pour le premier que pour le second, dont l’abandon n’aurait pas servi la cause animale.


Antonio Fischetti. Charlie hebdo. Paru le 23 décembre 2020. Source