Plan Dupond-Moretti pour désengorger les tribunaux
Avant moi, le déluge.
C’est en substance le message qu’a voulu faire passer Éric Dupond-Moretti, jeudi 5 janvier 2023, en présentant son « plan d’action » pour la justice, place Vendôme. Le rapport Sauvé, rendu en juillet à l’issue des états généraux de la justice, constatait « l’état de délabrement avancé » de l’institution. […]
Devant un parterre composé de journalistes, de hauts représentants du monde judiciaire, […], Éric Dupond-Moretti a une nouvelle fois salué les états généraux comme un « exercice démocratique inédit » et résumé les conclusions qu’il entend en tirer : « Tout mettre en œuvre pour que la justice soit plus rapide, plus efficace, plus protectrice et plus proche de nos concitoyens. »
Pour « remettre notre justice à flot », le garde des Sceaux promet de poursuivre l’augmentation de son budget, qui serait porté à « 11 milliards d’euros » en 2027 (contre 7,6 milliards en 2020 et 9,6 milliards en 2023), soit une hausse « de près de 60 % » au terme des deux quinquennats d’Emmanuel Macron.
À travers une « loi d’orientation et de programmation » qu’il doit présenter au printemps, le ministre rappelle son objectif de « 10 000 emplois supplémentaires » dans les métiers de la justice, dont « 1 500 magistrats et 1 500 greffiers », qui bénéficieraient de rémunérations « revalorisées » et d’une meilleure « qualité de vie au travail » susceptible d’attirer les candidats.
Cécile Mamelin, la vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), a exprimé auprès de France Inter son « sentiment de grande satisfaction » sur l’aspect budgétaire, […] « Les annonces vont plutôt dans le bon sens », estime aussi Ludovic Friat, le président de l’USM, qui attend néanmoins « de voir comment elles seront mises en œuvre ».
Samra Lambert, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM) salue également « les moyens supplémentaires » mais réserve un accueil plus « mitigé » au plan dans son ensemble, décrit par la présidente du SM, Kim Reuflet, comme « une réforme plutôt gestionnaire ».
[…]
Réduire les délais
Le ministre a surtout annoncé une série de mesures à destination des justiciables. […]
En matière civile (les affaires familiales ou liées aux contrats, 60 % des décisions de justice rendues chaque année), où les longueurs sont flagrantes, le ministre veut développer « une véritable politique de l’amiable » – c’est-à-dire des compromis entre les parties qui s’opposent – en espérant « diviser par deux » les délais. Avec le développement de ces procédures à caractère « participatif », le garde des Sceaux estime que le justiciable « aura le sentiment d’avoir été mieux entendu et mieux jugé ».
Deux nouvelles procédures amiables reposant sur cette philosophie, inspirées d’exemples néerlandais et québécois, devraient être promues prochainement.
- La première, appelée « césure », consiste à faire trancher le litige par un juge, chargé d’établir la responsabilité (d’une malfaçon, par exemple), puis à laisser les parties et leurs avocats trouver un accord sur les indemnités.
- La seconde, nommée « audience de règlement amiable », confie au juge le soin d’homologuer un accord préalablement rédigé par les avocats des parties (par exemple pour fixer un droit de visite de grands-parents à leurs petits-enfants).
Les justiciables et leurs avocats seraient incités à y recourir, en vue d’une issue plus rapide.
Cette « politique de l’amiable » soutenue par le ministère conduirait aussi à décharger les juges professionnels de certaines affaires, au profit de magistrats honoraires (c’est-à-dire retraités) ou de magistrats à titre temporaire (non professionnels).
Car c’est aussi l’une de ses préoccupations : confier certaines tâches, aujourd’hui accomplies par des magistrats surchargés, à d’autres personnes.
[…]
Des réformes pénales à venir
Pour ce qui est de la justice pénale, Éric Dupond-Moretti se fixe un objectif : réduire les délais d’audiencement devant les tribunaux correctionnels à un an maximum pour les dossiers « les plus lourds » et six mois pour les autres. Sans préciser comment il entend y parvenir.
Comme il l’a déjà fait pour le code de justice pénale des mineurs et le code pénitentiaire, le gouvernement envisage aujourd’hui de réécrire par ordonnance le code de procédure pénale. À force de réformes et de réécritures, ses 3 000 pages sont aujourd’hui « totalement illisibles » et souffrent de « multiples incohérences », avance le ministre.
Ce chantier de refonte pourrait prendre deux ans, avec le concours d’un « comité scientifique » et sous l’œil des parlementaires.
[…]
Camille Polloni. Médiapart. Source (extraits)